18.5. Migrant·e·s âgé·e·s
Santé mentale et troubles psychiques
Article mis à jour le 20 décembre 2024
Qu’elles résident en France depuis de nombreuses années ou récemment exilées, les personnes migrantes âgées constituent une population particulièrement vulnérable et exposée à un risque accru de troubles psychiques, en raison de l’effet cumulatif des facteurs de risque : l’exil, des conditions de vie précaires, l’isolement, la vieillesse. Le repérage des troubles psychiques, les diagnostics différentiels et certains sujets comme l’institutionnalisation et la fin de vie peuvent se poser différemment au sein de cette population spécifique pour laquelle il est important de prendre en compte les facteurs socio-culturels et linguistiques.
Contexte sociologique
Si les représentations collectives associent souvent immigration, vieillesse et isolement, notamment au sein de lieux d’hébergement dédiés, la plupart des personnes migrantes vieillissent en ménage ordinaire. Dans l’observation du Comede entre 2020 et 2023, 57% des 1 349 bénéficiaires des permanences téléphoniques âgé.e.s de plus de 60 ans, résidant en France en moyenne depuis 4 ans, sont hébergé.e.s par un tiers et 6% disposent d’un logement autonome. Il est donc important de restituer la problématique du vieillissement dans l’espace urbain et domestique ordinaire, et de prendre en compte l’impact psychologique et social sur les aidants.
De nombreux travaux en sociologie sur la question traitent des personnes qui s’inscrivent de longue date dans la « double résidence » entre lieu d’origine et lieu de séjour en France, notamment les hommes d’origine maghrébine, mariés, dont le travail a structuré le projet migratoire, aujourd’hui majoritairement retraités. Il arrive que leur conjointe et les enfants soient restés au pays, et ils se retrouvent isolés, installés dans un « provisoire permanent », une partie d’entre eux vivant en foyer. Ils sont affectés par une « double absence » décrite par A. Sayad : « ils appartiennent à un pays dans lequel ils ne vivent pas et vivent dans un pays auquel ils n’appartiennent pas. » C’est aussi dans ce contexte que peuvent s’inscrire les difficultés de la paternité en exil. Alors que le travail pouvait souvent leur permettre de donner un sens à l’exil, la fin de l’activité professionnelle peut signifier la perte de leur rôle de protection à l’égard de la famille. En cas d’incapacité à continuer d’en assurer l’entretien, des pères sont conduits à interrompre les relations et à choisir parfois de ne plus rentrer au pays. Vieillir en France signifie alors le deuil du mythe du retour au pays.
En revanche, la situation des femmes âgées migrantes a été peu documentée, malgré un risque de précarité économique et d’isolement souvent accru par un veuvage précoce fréquent. Alors que les femmes représentent 37 % des migrant.e.s âgé.e.s (Insee 2012), cette méconnaissance tient en partie à leur statut social, largement tributaire du regroupement familial et des droits conditionnels conférés aux épouses. Une majorité d’entre elles s’est pourtant inscrite dans une démarche d’installation durable, d’exil définitif. À la différence d’hommes pris entre ici et là-bas, elles se situent de manière plus marquée dans un projet durable en France, mettant en avant l’importance de la proximité des enfants et la socialisation dans la vieillesse.
Aspects psychologiques du vieillissement en situation d’exil
La vulnérabilité psychique liée au vieillissement peut être renforcée par l’expérience de l’exil et la situation sociale parfois précaire. Pour les personnes retraitées, le choix entre « rentrer ou rester » peut réactiver des pertes et traumatismes antérieurs, le retour pouvant constituer une nouvelle forme d’exil. Les conditions de vie parfois précaires peuvent également accentuer ce vécu de solitude et de souffrance psychique. Le vieillissement physique s’accompagne de remaniements psychiques importants parce qu’il entraîne la nécessité de faire face à de nombreuses pertes. Les limitations dans la vie quotidienne, les problèmes de santé et la perte d’autonomie peuvent bouleverser les assises narcissiques et l’équilibre psychique des personnes vieillissantes. L’acceptation des pertes et deuils à faire, les angoisses autour de la mort, la nécessité de trouver une nouvelle inscription sociale, associées à l’isolement relationnel, font de la dépression un trouble psychique fréquent parmi la population des personnes âgées, migrantes ou non. La vieillesse est un processus biologique, mais aussi une construction sociale et un événement psychique qui s’inscrivent dans une histoire singulière.
Le vieillissement pose la question du retour au pays d’origine à la fois rêvé et appréhendé. Le retour est souvent envisagé par la personne âgée en exil à travers le prisme d’une séparation insoluble entre la vie qu’elle a construite dans le pays d’accueil et celle qu’elle a laissée. Dans cette perspective, elle peut se sentir partagée entre le désir de rester auprès de ses enfants dans le pays d’accueil ou de rejoindre sa famille et ses ancêtres dans le pays d’origine. Cette hésitation peut se faire douloureuse sur le plan psychique en ce qu’elle convoque la question de la transmission à sa descendance de son histoire, de ses valeurs et de sa culture et peut s’accompagner d’un vécu d’échec. Cette problématique de l’entre-deux marque fortement certain.e.s migrant.e.s âgé.e.s, d’autant plus pour ceux qui souffrent de pathologies chroniques pour lesquels s’ajoute la nécessité d’un suivi médical régulier et continu qui peut être mis à mal par des allers-retours. Des contraintes administratives liées aux droits sociaux peuvent accentuer ce vécu douloureux : certains migrants retraités devant adapter leurs périodes de résidence aux exigences de la Sécurité sociale (voir 11.6. Protection sociale et 14.5. Protection maladie).
Le sentiment d’isolement fréquent chez la personne âgée peut se trouver renforcé par le décalage entre les représentations des migrant.e.s âgé.e.s sur l’accompagnement du vieillissement par la famille, la société et les normes du pays d’accueil. Il existe des représentations culturelles, une organisation familiale et sociale différente de la prise en charge des « anciens » dans les différentes sociétés et cultures. Les personnes âgées migrantes convoquent souvent les souvenirs de modes de vie de familles élargies régies par la notion de responsabilité filiale, légitimant la prise en charge des plus âgé.e.s par l’ensemble de la famille.
Les plaintes somatiques liées au vieillissement peuvent constituer une forme de manifestation de la souffrance, qui masquent et témoignent de la douleur psychique. La place accordée à la parole et au savoir de la personne âgée diffère selon les sociétés, la personne âgée en exil peut alors souffrir d’autant plus du sentiment de ne pas être entendue. La somatisation intervient là où la parole est entravée, là où l’action s’enkyste dans l’impuissance et peut représenter une modalité communicative efficace. Le corps peut alors devenir le lieu d’inscription d’une mémoire impossible. Les difficultés de communication linguistique peuvent devenir un obstacle supplémentaire à l’expression verbale de la personne et la prise en compte de sa parole.
Ressources en ligne :
Sur le vieillissement des immigrés.
Le portail pourbienvieillir.fr, réalisé par les caisses de retraite et Santé publique France
Principaux troubles psychiques, diagnostics et principes de prise en soins
Du fait de l’exposition fréquente à des évènements de vie difficiles, à des psychotraumatismes, à des pertes, deuils et ruptures, les personnes migrantes âgées représentent une population particulièrement vulnérable et à risque de développer des troubles psychiques. On peut distinguer deux grands types de troubles psychiques chez le sujet âgé : les troubles apparus à un âge plus jeune et qui évoluent avec le vieillissement et ceux qui se déclarent tardivement, à un âge avancé. Il existe, du fait du processus de vieillissement, une forte comorbidité entre troubles psychiques et pathologies somatiques et cela modifie significativement la symptomatologie et la prise en soins.
Principaux troubles psychiques. Les troubles de l’humeur (épisodes dépressifs) et troubles anxieux sont très fréquents chez les sujets âgés, et répondent aux mêmes critères diagnostics que pour les sujets jeunes. Néanmoins, des spécificités sont souvent présentes : les manifestations somatiques (gastro-intestinales, ostéo-articulaires, troubles du sommeil et de l’appétit, plaintes mnésiques), des symptômes psychotiques (idées délirantes paranoïdes, hypocondriaques), la comorbidité avec d’autres pathologies somatiques, les altérations cognitives, le risque suicidaire élevé. Lors d’un passage à l’acte, le sujet âgé a une probabilité beaucoup plus élevée de suicide abouti, d’où la nécessité d’une évaluation systématique du risque suicidaire. Des situations peuvent amener à un risque accru de passage à l’acte comme le diagnostic récent d’une pathologie sévère, le décès du/de la conjoint.e, l’isolement, l’entrée en institution, la consommation d’alcool. Le réseau de soutien, une prise en charge contenante, des projets, les croyances religieuses, sont autant des facteurs de protection.
Diagnostics différentiels. Il est important, d’autant plus chez le sujet âgé, d’écarter, avant tout diagnostic psychopathologique, d’autres troubles somatiques à l’aide d’un bilan global de santé : altérations ioniques, métaboliques, cardiovasculaires ainsi que troubles neurodégénératifs, qui peuvent se présenter avec des manifestations psycho-comportementales (maladie d’Alzheimer et pathologies apparentées). Certains symptômes comme l’apathie, l’anhédonie, les troubles cognitifs, les symptômes psychotiques, les troubles du sommeil et de l’appétit, peuvent être présents dans certains troubles neurodégénératifs et pathologies cérébro-vasculaires, ainsi que dans des troubles psychiatriques. Le diagnostic différentiel psychiatrique concerne les troubles délirants, les épisodes dépressifs caractérisés sévères avec symptômes psychotiques, les troubles somatoformes et les troubles de l’adaptation. Chez le sujet migrant âgé, des épisodes dépressifs sévères, ainsi que des manifestations dans l’après-coup d’anciens psychotraumatismes peuvent se présenter avec des tableaux pseudo-confusionnels et délirants, des états d’agitation, qui peuvent prendre la forme de bouffées délirantes aiguës.
Principes de prise en soins. Il est important d’appréhender la personne dans sa globalité, dans son environnement, de créer une relation de confiance, de repérer précocement les signes de souffrance psychique afin d’identifier les problématiques et orienter au mieux, de proposer une prise en charge interdisciplinaire, coordonnée et adaptée à la situation, de repérer, évaluer et gérer les situations de crise, notamment dans les cas de risque de passage à l’acte suicidaire, de soutenir les aidants. Les orientations vers des lieux de soins spécialisés sont souvent nécessaires, notamment les équipes mobiles gériatriques et psycho-gériatriques, les psychiatres et psychologues, les centres médico-psychologiques, les centres de consultation mémoire, les centres d’examens de santé, les gestionnaires de cas au sein des dispositifs MAIA, les réseaux de soins en gérontologie, les centres d’accueil de jour, les plateformes d’accueil et de répit. Le recours à l’interprétariat professionnel (voir 3.1. Médiation santé) est souvent nécessaire dans la prise en soins des sujets migrants et souvent nécessaire pour comprendre les finesses cliniques, affiner le diagnostic, s’assurer de la bonne compréhension des soins et des orientations pour la personne.
Traitements médicamenteux : le risque iatrogène doit toujours être pris en compte chez le sujet âgé, du fait de la réduction des capacités fonctionnelles du corps à métaboliser et aussi du recours fréquent à la polymédication qui expose à un risque d’interactions médicamenteuses. Les principes fondamentaux de prescription sont d’éviter les associations de classes de psychotropes différentes, de commencer à faible posologie et d’augmenter lentement si besoin, de réévaluer régulièrement l’efficacité des traitements. Certaines classes de psychotropes, comme les benzodiazépines, sont à éviter, en raison du risque de sédation, d’altérations cognitives, du risque de chute. Dans le traitement des épisodes dépressifs caractérisés et des troubles anxieux, les ISRS, les IRSNA, la mirtazapine et la mianserine sont bien tolérés, alors que les antidépresseurs tricycliques sont déconseillés. L’utilisation des psychotropes dans cette population est un véritable enjeu à la fois individuel et de santé publique (voir aussi HAS. Prescription des psychotropes chez le sujet âgé (Psycho SA), Programme Pilote, 2006-2013).
Enjeux de l’institutionnalisation et de la mort en exil
L’institutionnalisation : un nouvel exil dans la vieillesse ? Les questions de dépendance et de perte d’autonomie, d’impossibilité ou de dysfonctionnement dans le maintien à domicile concernent également les personnes âgées migrantes (voir le site https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/). Or le placement en institution peut réactiver d’autres pertes et déracinements antérieurs liées à la migration initiale. Certaines personnes peuvent ressentir un plus grand isolement au sein de l’institution, lié aux écarts de langues et de références culturelles. Le décalage entre l’institutionnalisation et leur représentation de la vieillesse peut également engendrer une forte blessure narcissique et une souffrance psychique importante. L’institution correspond à un monde complexe, avec ses codes, son fonctionnement, lieu de confrontation et de cohabitation où doivent vivre ensemble des personnes âgées migrantes, accompagnées par du personnel soignant dont une partie est également issue de l’immigration. Dans ce contexte, la difficulté d’échange verbal entre un.e soignant.e et une personne âgée migrante lors des soins ou de la vie quotidienne peut être source d’incompréhension, de mal-être et de conflits avec les autres d’où la nécessité de faire appel à des interprètes professionnels pour les personnes âgées allophones.
Mourir en exil. Il existe chez la personne migrante en fin de vie une douleur morale potentielle spécifique liée à l’impossible retour en terre natale. Cette question se cristallise notamment sur le choix du lieu de sépulture ici ou là-bas, car la fidélité à la communauté spirituelle peut revêtir un caractère primordial, par exemple être enterré ici dans les « carrés » musulmans des cimetières français ou là-bas en terre natale. Dans le deuxième cas, le transfert du corps nécessite d’être préparé, organisé et financé. Ce processus introduit un compromis, une tonalité plus réaliste dans le rapport au sacré. Les communautés essaient alors de s’organiser pour renvoyer le corps et faire les rituels nécessaires pour que le mort puisse passer du statut de défunt à celui d’ancêtre. Ainsi la place réelle qui est faite aux personnes âgées migrantes à travers les lieux de sépulture et la possibilité d’effectuer les rituels d’accompagnement sont significatives d’une volonté d’intégration des exilé.e.s dans la mémoire collective ou au contraire de leur absence de légitimité dans le pays d’accueil.