19.5. Drepanocytose

Maladies non transmissibles

Article mis à jour le 02 mai 2023

 

La drépanocytose est une maladie génétique qui affecte l’hémoglobine des globules rouges. Dans sa forme homozygote (« drépanocytose majeure »), elle se manifeste par une anémie, des crises douloureuses et un risque d’infections bactériennes sévères, et peut entraîner des accidents vasculaires cérébraux, une néphropathie ou une rétinopathie. Très répandue dans le monde (les trois quarts des personnes concernées vivent en Afrique subsaharienne) et en France (première maladie génétique), elle fait l’objet d’un dépistage systématique à la naissance. Pour les personnes atteintes de cette forme homozygote, la prise en charge doit être précoce et globale.

Développement de la maladie et épidémiologie

La drépanocytose (appelée aussi « anémie falciforme ») est due à une mutation du gène régissant la synthèse des chaînes β de l’hémoglobine, ce qui affectera le transport de l’oxygène dans l’organisme. L’hémoglobine anormale qui en résulte est appelée HbS. Les globules rouges sont alors plus rigides et peuvent obstruer les vaisseaux capillaires, provoquant des accidents vasculaires et dégradant de nombreux organes. La transmission génétique est autosomale récessive, ainsi seules les personnes qui héritent de leurs deux parents du gène « S », dites « homozygotes » ou « SS », développent un Syndrome drépanocytaire majeur (SDM). Celles qui n’héritent du gène que d’un seul parent, dites « hétérozygotes » ou « SA », ne développent pas de maladie mais peuvent la transmettre à leurs enfants. NB : en dehors de la forme homozygote SS, deux autres types de SDM sont moins fréquemment rencontrés : SC et Sβ-Thalassémie.

L’expression de la maladie est variable en fonction des individus et dans le temps pour chaque malade. Si seulement 15 % des personnes homozygotes vont développer une forme grave de la maladie, toutes sont exposées à la survenue brutale et imprévisible de complications aiguës pouvant engager le pronostic vital. Celui-ci est particulièrement mis en jeu dans les cinq premières années (hormis les 3 à 6 premiers mois où l’hémoglobine fœtale est encore majoritaire) par les risques de séquestration splénique aiguë, d’infections et d’accidents vasculaires cérébraux. Durant l’adolescence et l’âge adulte apparaissent les complications chroniques, atteignant tous les organes. La grossesse est un moment particulièrement sensible, du fait d’un risque plus élevé d’accidents vasculaires et de la gravité potentielle des atteintes pour la mère et pour l’enfant.

La mutation drépanocytaire s’est initialement développée dans les régions à forte endémie palustre, le paludisme étant moins sévère chez les sujets hétérozygotes. Cette pression sélective a conduit à une forte prévalence du gène principalement en Afrique subsaharienne (20 à 40 % de la population dans certaines régions), et en Inde du Sud. La mutation a été dispersée progressivement par l’esclavage puis les migrations. La drépanocytose a été reconnue par l’OMS en 2006 comme priorité de santé publique.

La forme majeure de drépanocytose concerne environ 300 000 naissances par an dans le monde, dont les trois quarts en Afrique subsaharienne. Il s’agit de la maladie génétique la plus fréquente en France où en l’absence de registre national, et en tenant compte des patient.e.s de nationalité étrangère, on estime le nombre de personnes atteintes d’un SDM à plus de 20 000. En 2019, le dépistage néo-natal a permis de diagnostiquer 586 SDM, dont 51 % en région parisienne et 1 sur 5 en Outre-mer. Si en France, du fait de l’amélioration du dépistage, des traitements et de l’organisation de la prise en charge, l’âge moyen au décès a doublé en 20 ans, passant de 22 à 40 ans, en Afrique sub-saharienne on estime que 50 % à 80 % des enfants homozygotes meurent avant l’âge de cinq ans.

Complications aiguës et chroniques

L’anémie hémolytique chronique est présente dès l’enfance, avec un taux d’hémoglobine généralement compris entre 7 et 8 g/dL pour les phénotypes les plus graves. Le taux d’Hb de base, propre à chaque malade, doit être connu de la/du patient.e et consigné dans son dossier médical. En Afrique, les carences nutritionnelles, les parasitoses digestives, le paludisme, aggravent encore l’anémie. Elle est généralement relativement bien tolérée, les transfusions étant à réserver aux situations cliniques graves (en raison du risque d’allo-immunisation particulièrement élevé chez les personnes drépanocytaires.)

Les crises douloureuses vaso-occlusives (CVO) sont les complications aiguës les plus fréquentes à tous les âges et le premier motif d’hospitalisation. Le plus souvent ostéo-articulaires, elles peuvent atteindre tous les organes. Les douleurs sont intenses, parfois intolérables. Les facteurs favorisants sont la déshydratation (apports d’eau insuffisants, fièvre), une hypoxémie locale (garrot, effort musculaire) ou générale (altitude > 2 000 mètres et voyage en avion, hypoventilation notamment par excès d’antalgiques morphiniques), le froid, un stress intense, des phénomènes hormonaux (en particulier durant la grossesse) et toute infection aiguë, dont le Covid-19. Ils doivent être évités au maximum et donc bien connus de la personne et de son entourage. Le traitement de la crise drépanocytaire vaso-occlusive associe celui de la douleur et celui de la cause qui l’a provoquée. Il doit débuter au domicile par des antalgiques de niveau I ou II. Toute crise sévère, résistante aux antalgiques de palier II, ou accompagnée de fièvre ou de signes extra-osseux, ou survenant moins de 3 semaines après une transfusion doit amener à une hospitalisation rapide.

Le syndrome thoracique aigu est une complication grave qui représente 25 % des causes de décès chez l’adulte. Associant une douleur thoracique à une symptomatologie pulmonaire et une fièvre, il peut entraîner de façon imprévisible une décompensation respiratoire. C’est une indication formelle à l’hospitalisation, et un transfert rapide en unité de soins intensifs doit pouvoir être envisagé. Il est dans la grande majorité des cas secondaire à une CVO. A terme, sa répétition peut contribuer au développement d’une insuffisance respiratoire chronique.

La séquestration splénique est une complication grave, fréquente chez le jeune enfant, exceptionnelle chez l’adulte, avec majoration aiguë de l’anémie liée à une augmentation brutale du volume de la rate. Elle nécessite une hospitalisation et une transfusion en urgence, voire une splénectomie dans les formes graves. L’éducation des parents est essentielle, pour la palpation de la rate et la reconnaissance des signes d’anémie aiguë. D’autres causes d’aggravation de l’anémie sont fréquentes et potentiellement graves, notamment l’accentuation de l’hémolyse provoquée par les infections et les CVO, le paludisme ou un accident transfusionnel secondaire à une allo-immunisation.

Les accidents vasculaires cérébraux concernent 10 % des homozygotes et sont également plus fréquents chez l’enfant. Les anomalies de la circulation cérébrale doivent être dépistées annuellement à partir de 12 mois par écho-Doppler transcrânien car elles sont prédictives de la survenue des AVC et permettent par la mise en place d’échanges transfusionnels précoces de les éviter. Tout symptôme neurologique central doit conduire en urgence à une imagerie par IRM.

Le priapisme consiste en une érection douloureuse prolongée. Il concerne 6 % des enfants et 40 % des adultes. La répétition d’épisodes intermittents spontanément résolutifs peut annoncer la survenue d’un priapisme aigu, intensément douloureux et évoluant vers une impuissance définitive, qui constitue une urgence nécessitant une intervention d’urgence en milieu hospitalier. Il est important de préciser que les rapports sexuels ne sont jamais à l’origine de priapisme.

Les infections sont fréquentes et potentiellement graves en raison de l’immunodépression consécutive à l’asplénie fonctionnelle (rate inefficiente), mais également du risque d’évolution vers une complication grave. Les infections à pneumocoque sont la première cause de mortalité chez l’enfant drépanocytaire. Toute fièvre doit faire envisager une infection bactérienne. Le traitement de tout sepsis grave doit comporter une antibiothérapie active sur le pneumocoque et les bacilles à Gram négatif (céphalosphorine de 3e génération). Les vaccinations indispensables concernent le pneumocoque, le méningocoque, l’hemophilus, et le Covid.

Les complications chroniques se voient le plus souvent chez l’adulte et doivent être recherchées de façon systématique et régulière, notamment :

  • atteintes rénales causées par les ischémies répétées et l’hémolyse chronique, pouvant entraîner une insuffisance rénale terminale (attention aux néphrotoxiques, dont les AINS) ;
  • atteintes oculaires, rétinopathies prolifératives par néo-vascularisation ;
  • ulcères cutanés, de guérison difficile, récidivants et douloureux ;
  • complications ostéo-articulaires ajoutant handicap et douleurs chroniques aux crises aiguës ;
  • hypertension artérielle pulmonaire, qui doit être dépistée ;
  • lithiases biliaires, conséquence de l’hémolyse chronique et justifiant une cholécystectomie préventive ;

En outre, les transfusions répétées sont responsables de surcharge en fer, d’un risque accru d’hépatites virales et d’accidents transfusionnels par allo-immunisation.

Soin, accompagnement et protection

Le dépistage des SDM à la naissance ou, à défaut, dès les premiers mois de la vie, est un élément essentiel du pronostic : il permet une prise en charge précoce, la prévention de certaines complications et l’amorce d’une éducation des parents. Dans les Outre-mer, un dépistage néonatal généralisé est mis progressivement en place. En métropole, le dépistage est instauré depuis 2000, mais uniquement sur une population ciblée, choix toujours discuté du fait du risque lié au retard à la prise en charge des enfants non dépistés. Le dépistage à l’âge adulte, notamment en cas de projet parental, peut être proposé (Centre d’Information et de dépistage de la drépanocytose, 01 45 82 50 00).

Dès la découverte d’un SDM, la prise en charge médico-psycho-sociale doit impliquer une équipe pluridisciplinaire autour de la personne malade (incluant l’hôpital de proximité et le centre de référence maladies rares), la famille, mais également les enseignant.e.s et les médecins scolaires ou du travail qui doivent être informé.e.s et impliqué.e. Il faut être attentif au retentissement psychologique de la maladie comme aux problèmes sociaux, scolaires et professionnels. Le handicap causé par les formes graves peut faire envisager une reconnaissance par la MDPH. Les enfants scolarisés peuvent faire l’objet d’un Projet d’accueil individualisé incluant enseignantes, médecins et infirmières scolaires.

Une protection maladie est indispensable. Outre l’assurance maladie, la C2S ou l’AME, le diagnostic de Syndrome drépanocytaire majeur permet la reconnaissance par la sécurité sociale en affection de longue durée (ALD 10 : hémoglobinopathies, hémolyses chroniques constitutionnelles et acquises sévères) avec exonération du ticket modérateur.

L’éducation thérapeutique des personnes malades et de leur entourage, en premier lieu les parents des enfants drépanocytaires, a pour objectif de faire connaître la maladie et la conduite à tenir en cas de symptômes inhabituels, ainsi que les mesures préventives essentielles pour éviter les complications. Les centres hospitaliers de référence organisés en réseau, ainsi que les associations de soutien notamment dans les villes où la prévalence de la maladie est la plus forte, peuvent jouer un rôle important dans cette formation ainsi que dans le soutien psychologique et social des malades et de leurs familles.

La surveillance clinique doit être régulière tout au long de la vie, avec des consultations si possible trimestrielles, comprenant la recherche de signes d’apparition ou d’évolution des complications, la mise à jour du calendrier vaccinal, et un temps d’éducation thérapeutique, afin de s’assurer au minimum de la bonne connaissance de la conduite à tenir en cas de douleur ou de fièvre. Un bilan paraclinique annuel complet est recommandé, pour dépister et traiter précocement les complications.

Bilan annuel : hémoglobine fœtale, fer sérique, capacité totale de fixation de la transferrine, calcémie, phosphorémie, étude des fonctions hépatique et rénale dont microalbuminurie, sérologie érythrovirus (parvovirus) B19 jusqu’à positivation ; recherche d’agglutinines irrégulières, dosage des anticorps anti-HbS pour vérifier l’efficacité de la vaccination, sérologies VIH et VHC dès antécédent transfusionnel (le bilan annuel permet une réévaluation du dossier transfusionnel) ;

  • dans l’enfance à partir de 12 mois : écho-doppler transcrânien de dépistage des anomalies de la circulation cérébrale ;
  • à partir de 3 ans : radiographie de thorax, échographie abdominale chez les patient.e.s non cholécystectomisé.e.s ;
  • à partir de 6 ans : radiographie de bassin, échographie cardiaque avec recherche d’HTAP ;
  • à partir de 10 ans (6 ans chez les enfants SC), bilan ophtalmologique avec FO (fond d’œil) +/-angiographie rétinienne.

Les mesures de prévention font partie de la prise en charge au long cours : hydratation abondante recommandée tout le long de la vie (majorée en cas d’effort, de chaleur ou d’infection) ; prévention des infections pneumococciques (vaccination, antibiothérapie préventive quotidienne, dès le diagnostic et durant toute l’enfance, par Pénicilline) ; vaccinations également recommandées contre la grippe, la méningite B et C, l’hépatite B, le Covid ; supplémentation en acide folique quotidienne (à vie par 5 mg de speciafoldine) ; prévention systématique du paludisme en cas de retour au pays, les accès palustres étant particulièrement sévères dans cette population.

Les traitements de fond visent principalement à diminuer la production et/ou la proportion d’HbS. Compte tenu de leurs effets indésirables, ils restent réservés aux formes sévères de la maladie. Il s’agit de l’hydrocarbamide (hydroxyurée, pour diminuer fréquence des crises vaso-occlusives) ; des échanges transfusionnels au long cours ; ou de l’allogreffe de moelle osseuse à partir d’un membre de la fratrie HLA-identique, AA ou AS, qui permet seule une guérison définitive mais présente les risques liés à la transplantation.

Droit au séjour des étrangers malades. Une personne adulte ou les parents d’un enfant souffrant d’un syndrome drépanocytaire majeur et originaire d’un pays dont le système de santé est précaire remplissent les conditions médicales permettant de bénéficier d’un titre de séjour (voir 15.3 Certification médicale et droit au séjour). En effet, la gravité de cette maladie implique une offre de soins permettant un accès effectif des malades à la fois à une admission immédiate dans un service de soins intensifs, à un plateau technique spécialisé apte à la prise en charge des complications aiguës et chroniques, à des transfusions en urgences et programmées sécurisées, et à des traitements récents et nécessitant également une surveillance spécialisée. Peu de pays ont par ailleurs les moyens d’assurer l’association de cette prise en charge médicalisée avec une approche globale, sociale et préventive.

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Références bibliographiques

AFDPHE, Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant, bilan 2016, ici

Brousse V. et al., Dépistage néonatal de la drépanocytose en France, Med Sci, n° 37, 2021, ici

Drepanoclic : Outil d’aide au dépistage et à la prise en charge de la drépanocytose en soins primaires, ici

Habibi H. et al., Recommandations françaises de prise en charge de la drépanocytose de l’adulte, La Revue de médecine interne n° 36, 2015, ici

MCGRE, Filière de santé maladies constitutionnelles rares du globule rouge et de l’érythropoïèse, ici