16.8. Saturnisme

Prévention et promotion de la santé

Article mis à jour le 11 septembre 2023

Le saturnisme correspond à l’intoxication par le plomb, un métal lourd aux effets toxiques tout particulièrement sur le système nerveux, même à de faibles doses. Cette intoxication a des conséquences graves et définitives sur le développement psychomoteur de l’enfant. Le cas de saturnisme chez l’enfant est ainsi défini par une plombémie (taux de plomb dans le sang) supérieure ou égale à 50 µg/L (microgrammes par litre), bien qu’il n’y ait pas d’effet de seuil pour la toxicité du plomb. Le saturnisme de l’enfant et de la femme enceinte est un problème majeur de santé publique, de même que le saturnisme lié au travail. Chez les personnes exilées, les expositions peuvent avoir eu lieu dans le pays d’origine et sur le parcours mais également sur le territoire français du fait des conditions de logement insalubres, et de certaines activités économiques. Le seul moyen de lutter efficacement contre l’intoxication au plomb est la suppression de l’exposition qui, en pratique, repose souvent sur les familles.

Épidémiologie

Les enfants de moins de 6 ans sont particulièrement exposés du fait d’une activité main-bouche et d’une absorption digestive du plomb plus importantes. Leur système nerveux, en plein développement, les rend plus sensibles aux effets toxiques du plomb. Le plomb ingéré ou inhalé est présent dans les os où il est majoritairement stocké. A l’arrêt de l’exposition, la plombémie diminue rapidement du fait de l’absorption osseuse mais il faut 10 ans pour éliminer la moitié du plomb contenu dans les os. Le plomb est re-largué dans le sang tout au long de la vie, notamment pendant la grossesse durant laquelle le plomb passe la barrière placentaire. Les petites filles intoxiquées aujourd’hui intoxiqueront donc leur fœtus en cas de future grossesse.

Les sources du plomb sont multiples : peintures anciennes, les écailles de peinture pouvant être ingérées par les enfants (surtout les logements construits avant 1949 mais également jusqu’en 1995 pour les ferronneries peintes notamment), eaux de boisson (canalisations anciennes), sites industriels actifs ou non (pollution de l’air ou contamination des terres), professions et activités de loisirs (ferraillage, tir, céramique, poterie…), alimentation (aliments contaminés suite aux retombées atmosphériques ou par les sols), cosmétiques, remèdes traditionnels, argile (notamment pharmaceutique comme la diosmectite), ustensiles de cuisine ou vaisselle en céramique artisanale ou en alliage métallique contenant du plomb, tabagisme actif et passif, objet en plomb ou couvert d’émail contenant du plomb, projectile intracorporel, activité de brûlage…Les foyers peuvent également être contaminés par transfert du plomb présent sur les mains ou habits et chaussures ayant servi lors d’une activité à risque. Les enfants s’exposent alors par contact avec ces objets ou avec la peau des adultes puis en portant les mains à la bouche.

En France hexagonale, on observe une diminution de l’exposition au plomb chez les enfants grâce aux mesures de santé publique, avec notamment la suppression de l’essence au plomb en 2000, l’amélioration du traitement des eaux, le remplacement des canalisations en plomb et l’information sur les risques du plomb aux propriétaires et locataires depuis 1999. La prévalence des plombémies > 100 µg/l chez les enfants de 6 mois à 6 ans était de 0,09 %  (moyenne de 14,9 µg/L) en 2008-2009 dans l’étude Saturn-inf de Santé publique France. En Guyane, les sources d’exposition diffèrent et sont avant tout alimentaires. L’étude Guyaplomb menée de 2015 à 2017 auprès d’enfants de 1 à 6 ans, montrait un niveau d’exposition au plomb plus élevé que dans l’hexagone avec une moyenne de 22,8 µg/L et des prévalences de plombémies supérieures à 100 µg/L de 3,5%.

Le Haut Conseil de Santé publique (HCSP) a mis à jour en 2017 les recommandations de dépistage et prise en charge de l’exposition au plomb des enfants et femmes enceintes. Cet article s’appuie en partie sur ces recommandations.

Clinique, diagnostic et dépistage

Chez l’enfant de moins de 6 ans, la symptomatologie est souvent absente ou tardive, et lorsqu’elle existe, est non spécifique (symptômes neurologiques, digestifs et anémie). En dehors de l’encéphalopathie saturnine lors d’intoxications sévères survenant en cas de plombémie supérieure à 450 µg/L (hypertension intracrânienne avec convulsions), on peut observer :

  • des troubles neuro-psychologiques survenant sans effet seuil, ainsi même une très faible intoxication peut être responsable des effets suivants : troubles du comportement (apathie ou irritabilité, hyperactivité), troubles de l’attention et du sommeil, mauvais développement psychomoteur, légers retards intellectuels, difficultés d’apprentissage, diminution de l’acuité auditive, inhibition du développement staturo-pondéral et retard pubertaire ;
  • des troubles digestifs vagues à partir de 500 µg/l : anorexie, douleurs abdominales récurrentes, constipation, vomissements ;
  • une pâleur en rapport avec l’anémie survenant à des taux de plombémie > 700 µg/l ;
  • un risque d’intoxication mortelle à partir de 1000 µg/l.

Chez les enfants de 3 à 6 ans, les niveaux croissants de plombémie sont corrélés à des scores décroissants pour les indices globaux du développement intellectuel : les résultats de méta-analyses estiment une perte irréversible de 1 point de QI dès 12 µg/l, de 5 à 7 points de 0 à 100 µg/l puis de 1 à 3 points pour chaque centaine de µg/L supplémentaires (Needleman et Gatsonis, 1990).

Chez les adultes et adolescents. Les effets du plomb sur la santé des enfants âgés de 6 à 17 ans sont semblables à ceux décrits chez les adultes.  Une plombémie augmentée est associée à une élévation de la pression artérielle, une diminution du débit de filtration glomérulaire et une augmentation du risque de maladie rénale chronique et ce de façon plus marquée chez les personnes diabétiques ou hypertendues. A partir de 100 µg/l, on peut observer une altération du spermogramme avec pour conséquence une augmentation du délai nécessaire pour concevoir. D’autres effets sont retrouvés pour des plombémies plus élevées comme des troubles mentaux organiques à partir de 400 µg/l, des signes cliniques de neuropathies périphériques à partir de 1000 µg/l et un risque de décès pour une concentration supérieure à 2000 µg/l.

Pendant la grossesse, le plomb passe librement la barrière placentaire (même plusieurs années après l’exposition) et peut être responsable de l’augmentation du risque de fausses couches à partir de 400 µg/l. Et sans effet de seuil peut provoquer :  hypertension artérielle gravidique, retard de croissance intra-utérin, petit poids de naissance et altération du développement cérébral du fœtus occasionnant des troubles cognitifs chez l’enfant. La concentration en plomb dans le lait maternel étant environ 10 fois moindre que celle du sang, l’arrêt ou la suspension de l’allaitement maternel doit être évalué en fonction des alternatives possibles et des plombémies maternelles.

Le dépistage repose sur le repérage des enfants exposés, par une démarche systématique dans le cadre des bilans de santé de l’enfant au 9ème et 24ème mois et des 3ème et 4ème année mais également par une démarche ciblée, prenant en compte les facteurs de risque individuels et environnementaux. Il est recommandé de prescrire une plombémie chez les enfants de moins de six ans présentant au moins un des facteurs de risque suivants :

  • séjour (domicile ou autres lieux de vie comme l’école) dans un logement dégradé datant d’avant 1975 ou dans un squat ou bidonville ou sans hébergement ;
  • écailles de peinture accessibles ;
  • travaux de rénovation dans un lieu de vie de l’enfant ;
  • présence de canalisations en plomb ;
  • tabagisme en présence de l’enfant ou au sein du logement ;
  • proximité d’une source d’exposition industrielle ;
  • profession (industrielle, artisanale, récupération/ferraillage) ou activités de loisir (tir, chasse, pêche, modélisme) des parents ou de l’enfant à risque ;
  • une personne de l’entourage de l’enfant (famille ou voisin du même lieu de vie) intoxiquée ;
  • arrivée de moins d’un an en France, ou séjours réguliers dans un pays à risque (certains pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie du Sud-Est et d’Europe de l’Est) ;
  • population itinérante.

La démarche de dépistage exige des actions conjointes des services publics (services sociaux, hygiène, logement) et de santé (PMI, médecins généralistes, pédiatres, santé scolaire, hôpitaux et administrations de la santé). Un dépistage du saturnisme est justifié chez les plus de 6 ans devant un de ces facteurs de risques si une contamination est envisagée. Le risque d’exposition au plomb actuelle ou passée doit être évalué systématiquement en cas de grossesse et une plombémie réalisée au 4ème mois le cas échéant.

Le diagnostic repose sur la plombémie. La prescription d’une plombémie est associée à une numération formule sanguine (NFS) et une ferritine (carence martiale fréquemment associée). A la prescription est jointe la fiche Cerfa 12378*03 remplie par le ou la médecin prescriptrice et remise au laboratoire. Cette fiche est complétée par le ou la biologiste qui la renvoie à la médecin, qui devra l’adresser à l’Agence régionale de santé (ARS) en cas de plombémie supérieure à 50 µg/l chez un·e enfant mineur·e définissant un cas de saturnisme.

Prise en charge médico-sociale

La prise en charge repose avant tout sur l’éviction de l’exposition au plomb. L’hébergement provisoire des occupants, nécessaire si le délai de réalisation des travaux est supérieur à 3 mois, est à la charge du propriétaire ou de l’exploitant. En cas de carence, l’obligation subsidiaire pèse sur le préfet. La famille pourra demander une reconnaissance Dalo (Voir en ligne 10.5. Hébergement et logement) en s’appuyant sur d’éventuels autres désordres associés (absence d’assainissement par exemple).

Les mesures d’évictions peuvent-être particulièrement difficiles à appliquer notamment pour les familles vivant dans des conditions d’hygiène précaires et dont l’exposition est liée à une activité source de revenus. La réduction de l’exposition est à encourager si l’éviction complète n’est pas réalisable. L’identification des mesures pertinentes se fait avec chaque famille, particulièrement si plusieurs sources difficilement évitables sont retrouvées. Cette prise en charge nécessite de :

  • nettoyer le sol et les surfaces par un linge humide et de retirer les tapis ou moquettes dans les pièces fréquentées par l’enfant afin de faciliter l’élimination des résidus de plomb ;
  • laver les mains et le visage le plus souvent possible et systématiquement avant les repas ;
  • couper les ongles courts et arrêter de les ronger ;
  • laver fréquemment les jouets, les tétines et les doudous ;
  • couvrir la peinture qui s’écaille (par des posters par exemple) ;
  • ne pas utiliser pour l’alimentation des poteries ou de la vaisselle en céramique ou en étain, non expressément prévues pour un usage alimentaire ;
  • en cas de sols pollués par le plomb ou à proximité d’un site industriel émetteur de plomb : essuyer et retirer les chaussures en entrant dans le logement ; ne pas laisser les enfants jouer à l’extérieur sur un sol nu ; éviter la consommation des végétaux cultivés ;
  • en cas de doute ou de présence avérée de plomb dans les canalisations d’eau et si aucune alternative n’est possible, laisser couler l’eau 3 à 5 minutes (ou l’utiliser pour la chasse d’eau par exemple) afin de ne pas consommer l’eau ayant stagné dans les canalisations du bâtiment. Préférer l’usage d’eau froide pour l’utilisation alimentaire car une eau chaude favorise la diffusion du plomb.

 Un contrôle répété de la plombémie tant que l’exposition persiste et au moins jusqu’à l’âge de 6 ans (quand aura lieu une évaluation des troubles des apprentissages) tous les 6 à 12 mois si plombémie < 25 µg/l et tous les 3 à 6 mois si plombémie supérieure à 25 µg/l. Une surveillance renforcée du développement neuro-psychologique est nécessaire pour les enfants dont la plombémie est supérieure ou égale à 50 µg/L. Pour les enfants ayant une plombémie > 250 µg/l une surveillance mensuelle de la plombémie et une orientation vers un service hospitalier pédiatrique dans le mois sont indiquées. Cette orientation se fait en urgence en cas de plombémie > 450 µg/l.

Lors de la grossesse, le contrôle de la plombémie se fait au moins 1 fois par trimestre pendant les 6 premiers mois puis tous les mois et à la naissance, chez la mère et le nouveau-né. Le contrôle de la plombémie est mensuel tant qu’elle est supérieure à 250 µg/L et contrôlée immédiatement si > 450 µg/L, en cas de confirmation, adresser la femme enceinte en urgence dans un service spécialisé.

La prise en charge est complétée par :

  • des conseils diététiques : une carence en fer ou en calcium augmentant l’absorption digestive du plomb, il convient de prévoir une supplémentation de l’alimentation. Conseiller des repas réguliers car le jeûne augmente l’absorption du plomb. La supplémentation d’une carence en vitamine D doit se faire uniquement après la réalisation d’une radiographie de l’abdomen afin de s’assurer de l’absence de morceau de plomb dans le système digestif car la vitamine D augmente son absorption digestive.
  • le traitement médicamenteux par chélation, réalisé en milieu spécialisé, n’est efficace que pour les plombémies les plus élevées (> 400 µg/L) et son effet est transitoire et comporte des risques.

Au-delà de 50 µg/L la déclaration du cas de saturnisme est obligatoire chez les enfants mineur.e.s et des mesures de prévention sont prises au niveau individuel et collectif, afin de supprimer les sources de pollution. En application de la législation, L’ARS réalise une enquête sur l’environnement du/de la mineure pour déterminer l’origine de l’intoxication, elle repose sur la visite du domicile, l’identification des sources de contamination par un questionnaire et des prélèvements (poussière, eau, terrain).

Prise en charge des frais de santé. Une demande de protection maladie doit être réalisée pour toute personne ayant des droits ouvrables, complémentaire santé solidaire (CSS) en admission immédiate (voir en ligne 13.4. Complémentaire-Santé-Solidaire) ou AME en instruction prioritaire (voir en ligne 13.5. Aide médicale Etat). Le dépistage et le suivi de l’intoxication au plomb (consultations, prélèvements et dosages de la plombémie) sont pris en charge à 100% par l’assurance maladie (même en l’absence de CSS, de mutuelle) ou l’AME pour les mineur.e.s et les femmes enceintes. Sans affiliation à un régime d’assurance maladie, la prise en charge financière peut être faite dans le cadre des Pass (centralisées ou transversales) ou en PMI dans l’attente de l’ouverture des droits. En cas d’exposition professionnelle, les pathologies en lien avec l’exposition au plomb peuvent être reconnues en maladies professionnelles.

Aspects médico-juridiques et droit au séjour. L’intoxication par le plomb est une maladie grave dont la surveillance et le traitement ne sont pas accessibles dans les pays en développement. Les parents sans droits au séjour d’un enfant atteint de saturnisme relèvent d’une régularisation comme accompagnateurs d’enfant malade. La demande doit être faite pour chacun d’entre eux dans le cadre du dispositif des parents d’enfant malade (voir en ligne 7.9 Membres de famille et accompagnateurs).