17.2. Violence liées au genre

Prévention et promotion de la santé

Article mis à jour le 11 septembre 2023

De nombreuses personnes exilées ont été victimes de violences liées au genre (ou violences de genre) dans leur pays d’origine, pendant leur parcours d’exil et/ou en France. Même si les hommes ne sont pas épargnés, les femmes sont les premières victimes de ces violences : mariages forcés et/ou précoces, mutilations sexuelles, viols, violences dans le cadre intra-familial et/ou conjugal, traite des êtres humains… Les personnes LGBTQIA+ font également l’objet de violences et discriminations accrues sur l’ensemble de leur parcours. Ces violences peuvent avoir de lourdes conséquences sur la santé, dont la prise en charge doit être adaptée aux besoins et demandes des personnes concernées : soins médicaux et psychologiques, accompagnement social et juridique. L’accès aux droits, dont le droit d’asile, est un enjeu majeur de la protection des personnes concernées.

NB : la question spécifique des Mutilations sexuelles féminines est développée à l’article 17.3. Mutilations génitales féminines

Définitions et fréquences

Il n’existe pas de définition univoque des violences liées au genre, les définitions utilisées au Comede associent :

  • les violences à l’égard des femmes (ONU, 1993), qui désignent « tous les actes de violence dirigés contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée » ;
  • les violences sexuelles (OMS, 2002) : «tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaire ou avance de nature sexuelle, ou acte visant à un trafic ou autrement dirigé contre la sexualité d’une personne utilisant la coercition, commis par une personne indépendamment de sa relation avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais sans s’y limiter, le foyer et le travail »;
  • les violences liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre peuvent être des persécutions, violences physiques et/ou psychologiques, menaces, discriminations à l’égard des personnes homosexuelles, bisexuelles et/ou trans, du fait de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre.

Selon l’observation du Comede, parmi 1 720 personnes exilées résidant en Ile-de-France et ayant effectué un bilan de santé entre 2017 et 2021, la fréquence des antécédents de violence de genre était de 55% parmi les femmes et de 10% parmi les hommes ; elle est significativement plus élevée parmi les personnes en situation de détresse sociale.

Le viol existe dans toutes les sociétés et s’inscrit dans des rapports de domination. Certains contextes accentuent les risques de viol : les conflits armés, les situations de post-conflit, la détention, l’absence de protection des personnes migrantes/étrangères, les situations de violence politique contre les militant.e.s ou certaines minorités. On peut distinguer parmi les formes de viols auxquelles ont pu être soumises les personnes exilées, particulièrement les femmes :

  • les viols dans les conflits armés comme arme de guerre, comme paiement en nature des soldats, comme forme de pillage, etc. ;
  • en dehors de contextes de guerre, les viols comme attaque contre un groupe ennemi et/ou une structure familiale;
  • les viols en détention comme forme de torture ;
  • les viols sur le parcours et en pays d’exil dans les situations de vulnérabilité (campements, squat, vie à la rue en l’absence d’hébergement).

Définition du viol dans la loi française : « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol » (Article 222-23 du code pénal, modifié par la loi du 3 août 2018).

Services sexuels contre protection, nourriture, hébergement ; prostitution forcée. Les personnes exilées, les femmes en particulier, peuvent se trouver dans des situations de vulnérabilité face aux violences liées au genre, notamment du fait de l’absence de protection et d’accès aux besoins essentiels. Certaines femmes se voient obligées d’avoir des rapports sexuels contre un hébergement, de la nourriture ou de l’argent pour survivre sur le trajet de l’exil, dans le pays d’origine ou en France. Sur les routes de l’exil, certaines femmes sont contraintes de choisir un compagnon pour se protéger du harcèlement et des agressions d’autres hommes. Certains passeurs demandent aussi des services sexuels en paiement. La stigmatisation forte de ce type d’échanges empêche souvent les femmes de parler de ces situations qui sont pourtant à risque important pour la santé.

Traite des êtres humains. Selon les données transmises par les associations et collectées par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI, 2022) et la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violence et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), en partenariat avec les associations « Ensemble contre la traite des êtres humains », l’exploitation est majoritairement sexuelle (74%). Dans cette forme d’exploitation, les femmes sont surreprésentées (91%) et sont majoritairement originaires d’un pays d’Afrique (79%, surtout le Nigéria), de France (7%) et d’Amérique du Sud (6%). NB : pour la définition de la traite des personnes, voir Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (2000).

Le mariage forcé est une union – civile, coutumière ou religieuse – conclue sans le consentement d’un ou des deux époux, sous la pression, la menace et/ou par des violences physiques. Il concerne majoritairement des jeunes filles et des femmes, même si des garçons et des hommes y sont contraints. Le mariage « précoce » est défini en rapport à la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). Il s’agit d’un mariage contracté entre deux personnes, dont au moins l’une d’entre elles est âgée de moins de 18 ans. On considère que le mariage des enfants est une forme de mariage forcé, et que l’âge des époux ne leur permet pas de consentir clairement et librement à des relations sexuelles (voir infra sur la question des mariages précoces).

Les violences à l’encontre des personnes LGBTQIA+ (lesbiennes, gays, bi, trans, queers, intersexes, asexuelles) peuvent être institutionnelles, à travers des lois interdisant certaines pratiques sexuelles ou le fait d’être en couple ou d’entretenir une relation affective avec une personne du même sexe, des peines de prison pouvant être requises, voire la peine de mort. Dans de nombreux pays, les couples du même sexe n’ont pas le droit de se marier, et les personnes trans ne peuvent choisir leur état-civil. Les violences peuvent aussi s’exercer dans la famille ou l’espace public et s’exprimer par des insultes, humiliations, l’exclusion du groupe, etc. Ces violences peuvent aussi prendre la forme de violences physiques telles que les coups, ou de violences sexuelles telles que les viols correctifs visant à convertir les personnes homosexuelles, notamment les femmes, à l’hétérosexualité ; ou telles que les « thérapies de conversion ».

Violences à l’encontre des mineur.e.s. Les enfants et adolescent-e-s sont aussi victimes, directement et en tant que témoins, de violences liées au genre. Ces violences, viols et agressions sexuelles notamment, ont souvent lieu dans le cadre familial, on parle dans ce cas d’inceste. Selon l’OMS, une femme sur cinq déclare avoir été abusée sexuellement dans son enfance. Les enfants constituent en outre l’immense majorité des victimes de mutilations sexuelles féminines. Les mariages précoces se pratiquent dans de nombreux pays du monde, notamment en Afrique de l’Ouest et centrale et en Asie du Sud, mais ils existent partout dans le monde. Ils ont pour conséquences des grossesses précoces et à risque, des viols et agressions sexuelles. Ils sont préjudiciables au développement des enfants, notamment des filles, qu’ils entravent dans leur accès à l’éducation.

Conséquences médico-psychologiques

Les violences liées au genre peuvent avoir des conséquences graves sur la santé mentale à court, moyen et long terme. Selon l’observation du Comede, les troubles psychiques sont particulièrement fréquents parmi les victimes de violence de genre et sévères sur le plan clinique, plus des trois quarts des personnes concernées souffrant de syndromes psychotraumatiques et de traumas complexes. Ces différents symptômes ont des conséquences importantes sur la vie quotidienne, ainsi que sur la possibilité pour les exilé.e.s de mener à bien leurs démarches administratives.

Après un viol, les affects de honte et de culpabilité sont souvent présents, rendant difficile le récit des violences. Les idées suicidaires peuvent être très présente, avec un risque de passage à l’acte suicidaire. Parmi les symptômes notables, on peut aussi citer le retrait social lié à la peur de sortir dans l’espace public et la crainte de la proximité des hommes, ainsi que les troubles de la mémoire et de la concentration. Face à une personne ayant été victime d’un viol, il est particulièrement important de ne pas banaliser les violences subies, de ne rien dire qui pourrait laisser penser qu’on ne la croit pas ou qu’elle pourrait être responsable de ce qui lui est arrivé. Par ailleurs, si la gravité des violences doit être soulignée, il est pour autant nécessaire de ne pas réduire les personnes qui les ont subies à une identité de victime dont la vie serait brisée.

Conséquences liées aux différentes situations de violence :

  • la précarité et la clandestinité imposées aux victimes de la traite des êtres humains rendent difficile l’accès aux services de santé, alors que les conséquences en termes psychopathologiques peuvent être rapprochées des situations de viol, de rapt ou enlèvement ;
  • pour celles et ceux qui cherchent à se soustraire à un mariage forcé, les ruptures familiales, les sentiments de trahison et de culpabilité, la perte de confiance dans les parents peuvent occasionner une souffrance psychique intense, avec risque suicidaire ;
  • les enfants et adolescent.e.s victimes de violences de genre peuvent développer des troubles psychotraumatiques avec au premier plan des modifications comportementales, des difficultés d’apprentissage, des troubles du sommeil. A l’âge adulte, les conséquences recouvrent les troubles anxio-dépressifs, les dépressions, les traumatismes psychiques dont les traumas complexes, mais aussi les addictions, les troubles alimentaires et les douleurs chroniques. Les risques de passage à l’acte suicidaire sont plus importants chez les personnes ayant subi des violences sexuelles dans l’enfance (4 fois pour les femmes, 5 fois pour les hommes).

Les conséquences physiques des violences de genre dépendent des formes de violence : coups et blessures, conséquences physiques des viols, notamment lésions traumatiques extragénitales et génitales, infections sexuellement transmissibles, grossesse non désirée, difficultés sexuelles, relationnelles, autour de la maternité, conduites addictives, troubles digestifs, gynécologiques, urinaires.

Protection juridique, droit au séjour et droit d'asile

Les victimes de la traite peuvent demander l’asile et bénéficier d’une protection internationale en cas de risques si elles retournent dans leur pays d’origine sans pouvoir bénéficier de la protection des autorités de leur pays. En France, la traite des êtres humains (à des fins d’exploitation sexuelle ou non) est punie de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende (article 225-4-1 du Code pénal).

S’il n’existe pas de délit ou de crime spécifique de mariage forcé en France, le Code civil (article 146) stipule qu’« il n’y a point de mariage là où il n’y a point de consentement ». Les conséquences du mariage forcé – viols, violences dans le cadre du couple et de la famille, enlèvement, séquestration – peuvent faire l’objet de plaintes et de sanctions pénales.

La loi du 4 avril 2006 fixe les moyens juridiques de lutte contre les mariages forcés :

  • l’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus ;
  • en cas de doute sur la liberté de consentement, la célébration du mariage ou sa transcription à l’état civil s’il a lieu à l’étranger est suspendue. Le procureur peut s’opposer au mariage ;
  • l’absence de consentement permet non seulement à l’époux.se contraint.e mais aussi au procureur de demander l’annulation du mariage lorsque les pressions empêchent les intéressé.e.s d’agir ;
  • le vol par un des époux des documents d’identité, du titre de séjour, des moyens de paiement de son/sa conjoint.e est désormais une infraction (art. 311-12 du Code pénal).

Mariage forcé et droit d’asile. La contraction ou le risque d’un mariage forcé dans le pays d’origine peut théoriquement fonder une protection au titre du droit d’asile. La personne concernée doit alors faire valoir que son attitude de refus est perçue par tout ou partie de la population comme transgressive des coutumes et lois en vigueur, et qu’elle est dépourvue de protection de la part des autorités. En pratique, l’Ofpra et la CNDA accordent souvent non pas le statut de réfugiée, mais la protection subsidiaire qui doit être renouvelée chaque année.

Violence à l’encontre des personnes LGBTQIA+ et droit d’asile. La réforme de 2015 a expressément pris en compte ce motif de protection : « S’agissant des motifs de persécution, les aspects liés au sexe, à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle sont dûment pris en considération aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe » (art L511-3 du Ceseda). La personne devra fournir l’ensemble des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques, sociologiques relatifs aux risques encourus personnellement.

Violence au sein du couple et droit au séjour. Créée par la loi du 9 juillet 2010 concernant les violences faites aux femmes, une « ordonnance de protection » peut être demandée en urgence au juge des affaires familiales lorsque les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, partenaire lié par un pacs ou concubin mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants. Elle peut aussi être demandée dans le cas où une personne majeure est menacée de mariage forcé. Cette ordonnance de protection permet aux victimes de bénéficier de plein droit d’un premier titre de séjour ou de son renouvellement (art. L425-6 et L425-7 du Ceseda). Dans l’observation des associations de soutien, ces dispositions restent souvent inappliquées et de nombreuses femmes étrangères victimes de violence restent soumises à de nombreuses difficultés pour obtenir ce titre de séjour.

La loi asile et immigration du 10 sept. 2018 protège les conjoint.e.s de Français.e.s et les bénéficiaires du regroupement familial. Elle prévoit le maintien et le renouvellement du droit au séjour même si la condition de vie commune n’est plus remplie (art. L423-5 et L423-18 du Ceseda, instruction du 23 décembre 2021 relative à la délivrance des titres pour les victimes de violences conjugales et familiales).

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Références bibliographiques

Comede, Le viol, une violence impensable ? Maux d’exil n°50, 2016

Miprof et SSMSI, La traite des êtres humains en France : le profil des victimes accompagnées par les associations en 2021

Nahoum-Grappe V., Guerre et différence des sexes : les viols systématiques (ex-Yougoslavie, 1991-1995), in De la violence et des femmes, Albin Michel, 1997

Pannetier J. et al., Prevalence and circumstances of forced sex and post-migration HIV acquisition in sub-Saharan African migrant women in France : an analysis of the ANRS-Parcours retrospective population-based study, The Lancet, 2018

Petruzzi M. et al., Impact des violences de genre sur la santé des exilés, BEH n°17-18, 2019