18.2. Principaux troubles psychiques

Santé mentale et troubles psychiques

Article mis à jour le 20 décembre 2024

Une grande partie des exilé.e.s, notamment les personnes en demande d’asile et réfugié.e.s, présentent des antécédents de violence et de torture, ce qui les expose à un risque accru de développer des troubles psychiques. Dans l’observation du Comede, plus d’une personne exilée sur cinq est atteinte de troubles psychiques graves. Ces troubles appartiennent principalement à deux grandes catégories diagnostiques : les syndromes psychotraumatiques, y compris TSPT et trauma complexe, et les épisodes dépressifs, de plus les comorbidités sont fréquentes. Ces personnes relèvent de prises en soins médico-psychologiques de moyen terme, ainsi que d’un accompagnement social et juridique dans leurs démarches d’accès aux soins et aux droits.

Syndromes psychotraumatiques

Les syndromes psychotraumatiques sont caractérisés par un lien de causalité entre l’exposition à un ou plusieurs évènements de vie d’intensité importante et d’apparition soudaine, accompagnés souvent par un sentiment d’effroi, et l’émergence par la suite de symptômes qui peuvent être particulièrement sévères et invalidants. Ces symptômes peuvent devenir chroniques et entraîner une modification des affects, avec un impact sur le fonctionnement social, familial et professionnel, si les personnes qui en souffrent ne trouvent pas de soutien et de soins adaptés. Dans l’observation du Comede, ces syndromes représentent 69% des troubles psychiques graves.

Le Trouble de stress aigu (TSA) débute après l’exposition à un événement potentiellement traumatique, comme la menace de mort, des blessures graves, des violences (physiques, psychique ou sexuelles), le risque de mort, et peut durer de quelques heures à quelques semaines. Ce trouble se manifeste avec les mêmes symptômes que le TSPT mais avec une durée limitée dans le temps, il peut se résoudre spontanément ou à l’aide de soins en immédiat ou en post-immédiat, ou il peut évoluer vers un TSPT. Dans les suites immédiates du psychotraumatisme, la personne peut présenter un état de stress dépassé, une symptomatologie dissociative avec épisodes de déréalisation et dépersonnalisation, des états de sidération ou agitation.

Le Trouble de stress post-traumatique (TSPT) se manifeste plus d’un mois après l’exposition à un évenement traumatique, il est caractérisé par un syndrome de répétition (reviviscences, cauchemars, épisodes dissociatifs), un syndrome d’évitement (des personnes, des lieux, des idées), une hyperactivation neurovégétative (altération du sommeil, irritabilité, hypervigilance) et des altérations des cognitions, de l’humeur et des affects. Le syndrome d’intrusion ou de répétition est spécifique du psychotraumatisme : le ou les événements font retour de façon répétitive dans des images (reviviscences, flashbacks), des cauchemars, des ruminations autour de l’événement. Ces manifestations s’accompagnent d’un sentiment de détresse extrême et de l’impression de revivre les événements au présent. Au syndrome de répétition dans lequel le sujet revit, au présent, la situation « traumatique », peuvent s’ajouter un certain nombre de symptômes caractérisés par l’angoisse que l’événement puisse se reproduire : évitement des endroits et situations qui rappellent l’événement (hommes en uniforme, lieux sombres et fermés), hypervigilance, réactions de sursaut. Les plaintes fréquentes de troubles de la mémoire et de la concentration peuvent être liés à l’envahissement du psychisme par la répétition traumatique. Il existe dans certains cas des troubles psychiques et des symptômes non spécifiques associés, particulièrement lorsqu’il n’y a pas eu de prise en charge précoce des syndromes psychotraumatiques : épisodes dépressifs, plaintes somatiques, anxiété généralisée, troubles du comportement, épisodes psychotiques brefs, idées et passages à l’acte suicidaire.

Le trauma complexe, selon la définition de la CIM-11, est un trouble qui peut se développer après l’exposition à une série d’évènements potentiellement traumatiques qui se répètent de façon prolongée ou répétitive, desquels il est impossible de s’échapper (violences familiales, violences sexuelles répétées, torture, esclavage, guerre, génocides). Cette répétition peut induire des phénomènes d’anticipation et de préparation à l’évènement successif qui peuvent amener à un changement profond des affects, des cognitions de soi, l’émergence de sentiments de honte et culpabilité, des difficultés permanentes dans les relations sociales, familiales et professionnelles qui peuvent impacter de manière durable le fonctionnement de l’individu.

Approches thérapeutiques. La prise en charge des troubles psychotraumatiques est pluridisciplinaire : psychologique, médicale dont psychiatrique, sociale et juridique. La prise en charge en immédiat et post immédiat prévoit la mise en place de techniques de EMDR, « defusing », « débriefing », consultations individuelles ou groupes de parole. Ces interventions visent à réduire la charge émotionnelle et à identifier les sujets les plus impactés, qui seront orientés vers des soins spécialisés. L’intensité de la symptomatologie dissociative est un indicateur de gravité. Il n’y a pas d’indication à un traitement médicamenteux en immédiat et post-immédiat. L’intervention d’une Cellule d’urgence médico-psychologique (Cump) peut être nécessaire dans les cas d’évènements à caractère collectif. Selon le trouble :

  • TSPT : en premier lieu prise en charge non médicamenteuse, notamment psychothérapeutique, basées sur le trauma, d’orientation cognitivo-comportementale, psychanalytique, narrative. Des techniques spécifiques peuvent être utilisées, comme l’EMDR, l’hypnose, la Narrative Exposition Therapy et d’autres thérapies d’exposition. Des groupes de parole, les Trauma Focus Group, ainsi que des groupes à médiation thérapeutique peuvent être proposés selon les situations. La prise en charge médicamenteuse prévoit l’usage d’antidépresseurs (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) et éventuellement des traitements symptomatiques pour améliorer les troubles du sommeil (neuroleptiques sédatifs, antihistaminiques). Les benzodiazépines sont à éviter. La prise en charge des comorbidités est essentielle. Prise en charge possible par les Centres régionaux de psychotraumatisme, dont certains ont une expérience en matière de soins aux personnes exilées ;
  • Trauma complexe : nécessite de soins au long cours fondés sur l’association de psychothérapie et traitements médicamenteux (HAS, évaluation et prise en charge des syndromes psychotraumatiques, 2020 ; OMS, Guidelines for the management of conditions specifically related to stress, 2013).

L’approche psychanalytique du psychotraumatisme s’intéresse aux conséquences psychiques de l’évènement traumatique, en prenant en compte la manière avec laquelle l’évènement va être accueilli et transformé par le psychisme d’un individu, à la lumière de son histoire personnelle et des conflits antérieurs à l’évènement.  Pour la psychanalyse, le trauma se différencie du stress. Dans la réaction au stress, l’appareil psychique du sujet se modifie entrainant l’émergence d’un sentiment d’angoisse. Lorsque la menace se réduit, la situation revient à l’initial. Dans le cas du trauma, la menace externe produit une effraction de l’appareil psychique avec un sentiment d’effroi. Cet ébranlement ne peut se résoudre simplement avec la suppression de la menace externe car celle-ci est internalisée, à la base du syndrome de répétition. Les symptômes peuvent être multiples, et s’installer de façon durable dans une « névrose traumatique », caractérisée par la chronicité et la gravité des troubles.

Face à un même événement traumatique, certaines personnes – et non toutes – vont développer une symptomatologie traumatique, sévère ou modérée, transitoire ou durable. L’objectif de la thérapie est de soutenir ce travail d’inscription du trauma dans l’histoire du sujet. Ces actes de violence touchent à des éléments fondamentaux de l’identité et du narcissisme, ainsi qu’au rapport aux autres. Ils changent la vision du monde de celles et ceux qui les ont subis, ainsi marquée par la confrontation au réel de la mort et par l’expérience de la volonté d’anéantissement d’un être humain par un autre, comme dans le trauma intentionnel (voir 17. Violence et santé). Les syndromes psychotraumatiques ont un impact sur la vie quotidienne. C’est parfois tout le rapport au temps et à l’espace qui subit une altération. Les personnes souffrent de ne pas « se reconnaître », de ne pas être en mesure de faire face aux exigences de témoignage et aux démarches qui leur sont demandées dans leur parcours d’exil. Cela accroît leur souffrance subjective et leur sentiment d’échec. Comprendre les effets des traumatismes permet aux professionne.le.s de ne pas mésinterpréter certaines attitudes et certains comportements des personnes exilées.

Le dispositif psychothérapeutique. Avant qu’un travail d’élaboration, de mise en histoire du trauma et de l’exil ne soit possible, la psychothérapie a vocation à rétablir un lien de confiance à travers la relation entre deux êtres humains. Cela passe par une écoute attentive et ouverte. Les émotions, particulièrement les affects de honte et de culpabilité, sont souvent rejetées car insupportables. Ressenties par et en présence du thérapeute, elles deviennent reconnaissance de la teneur d’inadmissible des situations de violence et d’exil. C’est une condition nécessaire à ce que des pensées, images, émotions émergent en lieu et place de la répétition traumatique, de l’angoisse et de la détresse qui figent le fonctionnement psychique. L’enjeu de la psychothérapie est la construction commune d’un espace de soin, incluant la fréquence et la régularité des entretiens. Il est important d’expliciter les objectifs de la thérapie, le cadre, les principes (confidentialité impartialité, liberté de parler ou non) et les limites (ce que le thérapeute ne peut pas faire, comme s’occuper de l’hébergement), et également d’échanger sur les représentations réciproques des soignant.e.s et patient.e.s.

L’accompagnement des soignant.e.s et des équipes. Inhérent à tout accompagnement d’une personne qui souffre, le risque d’épuisement professionnel est majoré lorsque cette souffrance paraît entretenue par notre propre société et les conditions d’accueil faites aux étrangers. Les soignant.e.s peuvent partager certains affects des patient.e.s exilé.e.s, comme honte, culpabilité, impuissance, angoisse, sentiment de vulnérabilité et insécurité, détresse, ainsi que certains symptômes, comme troubles du sommeil, troubles somatoformes, perte d’estime de soi sur le plan personnel et professionnel. Des espaces de parole et d’expression des ressentis et des émotions doivent être aménagés, notamment dans le cadre de supervisions d’équipe, introduisant un tiers régulateur et permettant une prise de distance par l’élaboration des affects et des représentations en jeu. Les réunions pluridisciplinaires, autour des situations des personnes reçues permettent de consolider la responsabilité clinique collective, la prise de distance et la compréhension des rôles de chacun.e.

Autres troubles psychiques

La dépression est fréquente dans la population générale et parmi les exilé.e.s. Dans l’observation du Comede, cela représente 22% des troubles psychiques graves parmi 11 000 personnes entre 2010 et 2020. Sur le plan clinique, un épisode dépressif caractérisé (EDC) est défini par la présence de symptômes depuis plus de deux semaines, en rupture avec l’état antérieur du patient. L’humeur dépressive est au premier plan, associée à un ralentissement psychomoteur, asthénie (fatigue), aboulie (manque de volonté), anhédonie (perte de plaisir et désintérêt généralisé), troubles de l’attention, et de la mémoire, ruminations obsédantes. Il peut y avoir des troubles somatiques, anorexie ou hyporexie (perte ou diminution de l’appétit), insomnies, mais aussi troubles digestifs, douleurs neuromusculaires. Une irritabilité ou une anxiété pouvant se manifester par crises d’angoisses, des idées noires ou idées suicidaires. L’autodépréciation, les sentiments d’isolement et d’abandon, le pessimisme et la perte d’espoir font partie des représentations « négatives » évocatrices d’une dépression. Dans certains cas, la prédominance des plaintes somatiques peut masquer une dépression. Les EDC peuvent être d’intensité légère, modérée et sévère, selon le nombre de symptômes et le retentissement sur le fonctionnement (HAS, 2017). Un EDC d’intensité sévère peut avoir des caractéristiques mélancoliques et se manifester par une douleur morale intense, des difficultés accrues de communication, des idées de culpabilité et d’incurabilité, des idées suicidaires, une altération de l’état général, une incapacité à maintenir les activités quotidiennes, des symptômes psychotiques (idées délirantes, hallucinations), congruents ou non à l’humeur.

 

Approches thérapeutiques de la dépression :

  • les médecins généralistes sont souvent sollicité.e.s en premier devant les plaintes somatiques, et peuvent jouer le rôle de pivot dans l’accompagnement global. L’examen clinique, le bilan de santé et les traitements symptomatiques sont une première réponse. L’approche non médicamenteuse est privilégiée pour les formes légères à modérées, l’orientation en psychothérapie étant préconisée. Il existe des dispositifs mis en œuvre en 2021 dans les centres de santé et MSP permettant d’orienter vers des consultations de psychologues prises en charge à 100% par l’Assurance maladie ;
  • pour les formes plus sévères, le recours à des consultations psychiatriques et à des traitements médicamenteux est nécessaire, principalement les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine (ISRS). Le suivi médical doit être régulier pour évaluer le bénéfice thérapeutique et l’émergence d’éventuels effets secondaires indésirables. L’évaluation d’un EDC prévoit la recherche et l’évaluation systématique des idées suicidaires, et le cas échéant du risque suicidaire qui doit conduire à des soins en urgence. L’hospitalisation peut être indiquée dans certaines situations, comme le risque de passage à l’acte auto ou hétéro agressif, un état dépressif sévère ou mélancolique, initiation d’un traitement neuroleptique en cas de symptômes psychotiques associés. Par ailleurs, pour les personnes en très grande précarité sociale et souffrant de troubles psychiques, l’épuisement peut être une indication pour une hospitalisation, afin de minimiser les risques de passages à l’acte suicidaire et/ou le risque de décompensation d’une pathologie psychique plus grave.
  • dispositifs psychiatriques : des psychiatres sont présents dans les urgences générales des hôpitaux. Les centres d’accueil et de crise (CAC), sectorisés, reçoivent les personnes en urgence et peuvent proposer des hospitalisations de courte durée. Les équipes mobiles psychiatrie et précarité (EMPP) vont à la rencontre des personnes en souffrance psychique en situation de précarité et d’exclusion et favorisent l’accès aux soins ambulatoires, notamment dans les Centres Médico-Psychologiques, qui accueillent les patients sur une logique de sectorisation et n’exigent pas de protection maladie.

Droit au séjour pour raison médicale (voir aussi chap 6. Droit d’asile et art 15.3. Certification et droit au séjour.) : les exilé.e.s atteint.e.s de troubles psychiques graves et en séjour irrégulier peuvent remplir les critères médicaux requis pour être « régularisé.e.s », notamment en raison du risque d’aggravation de l’état psychique (et du risque suicidaire) en cas de retour dans le pays d’origine et consécutif à la rupture des soins entrepris en France. S’il/elle souhaite entreprendre ces démarches le/la patient.e doit être informé.e de la précarité de cette demande (conduisant le plus souvent à un avis défavorable des médecins de l’Ofii), et du document de séjour éventuellement obtenu, sans garantie de renouvellement.

Autres troubles et comorbidités. D’autres troubles psychiques peuvent apparaitre à la suite d’un évènement traumatique. Troubles anxieux, abus de substances, troubles somatoformes requièrent une prise en charge spécifique. Il peut y avoir l’émergence d’épisodes psychotiques brefs ou de troubles psychotiques chroniques, mais dans un pourcentage moindre de cas. Les symptômes psychotiques isolés sont fréquents dans le TSPT, notamment les hallucinations visuelles, sans pour autant être inscrits dans un trouble psychotique constitué. Le diagnostic différentiel est important pour éviter des erreurs diagnostiques et thérapeutiques.

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Références bibliographiques

Pour en savoir plus :

Barrois C., Les Névroses traumatiques, Dunod, Paris, 1998

Baubet T., Moro M.-R., Psychopathologie transculturelle, Masson, Paris, 2009

CN2R : https://cn2r.fr/ressources/migrations/

Damiani C., Lebigot F. dir, Les Mots du trauma, éd. Philippe Duval, Savigny sur Orge, 2011

International society for traumatic stress studies, International practice guidelines, 2018