8.1. Repères fondamentaux
Double demande asile et maladie
Article mis à jour le 02/09/2022
Lorsqu’une personne en demande d’asile est atteinte d’une maladie grave rendant indispensable la continuité de ses soins en France quelle que soit l’issue de sa demande, elle doit être informée, notamment par ses médecins, des possibilités de droit au séjour pour raison médicale. La réforme asile-immigration du 10 septembre 2018 fragilise toutefois l’exercice de ce droit. Certes, elle réaffirme le droit des personnes en demande d’asile à « la double demande ». Mais elle distingue le droit inconditionnel à la protection contre l’éloignement du droit au séjour pour raison médicale, ce dernier devant être exercé dans un délai contraignant de 3 mois, sauf « circonstances nouvelles », à compter de l’enregistrement de la demande d’asile. Or le parcours d’accès aux soins et au bilan de santé ne permet pas à la plupart des personnes concernées de connaître, et de faire connaître, leur maladie avant plusieurs mois (en moyenne 8 mois après l’arrivée en France pour le VIH, et 23 mois pour le diabète dans l’observation du Comede). Au-delà du délai initial de 3 mois et tout en préservant le secret médical à l’égard des services préfectoraux, de nombreux étrangers malades seront donc amenés à se prévaloir de « circonstances nouvelles » pour pouvoir faire valoir leur droit au séjour pour raison médicale.
Droit à la double demande asile et maladie
La réforme asile immigration du 10 novembre 2018 a rappelé le droit d’une personne en demande d’asile en France de solliciter également son admission au séjour pour raison médicale.
Art. L431-2 Ceseda (ex. art. L311-6): « Lorsqu’un étranger a présenté une demande d’asile qui relève de la compétence de la France, l’autorité administrative, après l’avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l’absence de demande sur d’autres fondements à ce stade, l’invite à indiquer s’il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l’affirmative, l’invite à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l’article L. 511-4, il ne pourra, à l’expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour. Un décret en Conseil d’Etat précise les conditions d’application du présent article ».
Le droit à la délivrance d’un titre de séjour pour soins a également été rappelé à de multiples reprises par les juridictions pour les personnes en demande d’asile placées en procédure Dublin suite aux pratiques de refus d’enregistrement des préfectures (CAA Marseille 23 avril 2015, n°14MA02909 et n°14MA02910 ; TA Versailles, 11 février 2019, n°1802666). Le service médical de l’Ofii doit alors rendre son avis sur les possibilités de soins appropriés dans le pays d’origine (CAA Nancy, 3 mai 2012, n° 11NC01224) et non dans le pays responsable de la demande d’asile au titre des accords de Dublin. Enfin, si le délai contraignant de trois mois pour déposer la demande ne leur est pas applicable (L431-2 Ceseda a contrario), il est préférable de faire valoir cette demande, et d’en conserver la preuve (envoi au préfet d’un recours gracieux en lettre A/R contre le refus d’enregistrement), avant la notification de la décision de transfert vers l’État responsable de la demande d’asile (voir en ligne Situations particulières Dublin).
L’invocation auprès des services préfectoraux d’un double motif d’admission au séjour en France (asile / raison médicale) implique d’évaluer préalablement, après bilan de santé et mise en place d’une prise en charge médicale adaptée, la présence des critères médicaux de l’admission au séjour à développer dans le certificat médical.
Tout au long des procédures d’asile et d’admission au séjour pour raison médicale, la préservation du secret médical est indispensable :
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- à l’égard des services de la préfecture : aucune information relative à l’état de santé ou à la prise en charge médicale du demandeur ne doit être révélée. Un certificat médical non descriptif (CND, voir en ligne Certification médicale et droit au séjour) peut être présenté au guichet et joint aux lettres de recours gracieux adressées en A/R au préfet ;
- à l’égard des instances en charge de l’asile (Ofpra, CNDA) : il est inutile de signaler les motifs médicaux devant conduire à la nécessaire continuité des soins en France, dès lors qu’ils sont sans rapport avec les raisons de l’exil et les craintes de persécution en cas de retour au pays d’origine. Au contraire, cette information peut desservir la crédibilité de la demande d’asile.
Procédure d'instruction en pratique
La procédure d’instruction des demandes d’admission au séjour pour soins des personnes en demande d’asile se déroule dans les mêmes conditions que pour l’ensemble des personnes étrangères gravement malades (voir en ligne Droit au séjour pour raison médicale), avec toutefois certaines particularités.
Calcul du délai de trois mois (L431-2 et D431-7 Ceseda) : lorsque ce délai est opposable (voir infra), le service médical de l’Ofii doit recevoir (A/R souhaitable) le certificat médical rempli (rédigé sur le formulaire vierge remis par la préfecture) dans les trois mois suivant le jour de l’enregistrement en préfecture (Guda) de la demande d’asile en procédure normale ou accélérée. Une lettre d’accompagnement peut indiquer les raisons pour lesquelles des éléments médicaux complémentaires vont être envoyés ultérieurement.
Attention : dans certaines hypothèses de procédure d’asile dite « accélérée » une OQTF peut survenir avant même l’expiration du délai de trois mois, dès la décision d’irrecevabilité ou de rejet de l’Ofpra et même en cas de recours à la CNDA. Tel est notamment le cas si la personne provient d’un pays considéré comme « pays d’origine sûr », ou a présenté une demande de réexamen au titre de l’asile, ou est considérée comme présentant une menace grave pour l’ordre public (L542-2 Ceseda ; voir en ligne Droit d’asile, Procédure accélérée). Dans ces situations, si elle en a connaissance, il est souhaitable que la personne malade en procédure d’asile puisse justifier qu’elle a fait valoir le motif d’admission au séjour pour raison médicale avant la notification de l’OQTF liée à la procédure d’asile.
Préfecture compétente (R431-21 Ceseda) : la préfecture compétente est celle du lieu de résidence. Toutefois, pour les personnes en procédure d’asile domiciliées auprès de la Plateforme régionale d’accueil des demandeurs d’asile (voir en ligne Droit d’asile, Procédure normale, et Domiciliation) et donc pour certaines hors de leur département de résidence, la préfecture compétente est celle du lieu de la domiciliation asile. L’article L114-2 du Code des relations entre le public et l’administration prévoit que les préfectures ont une obligation de transmission des demandes à l’autorité territoriale compétente, mais, dans la pratique, cette obligation est rarement mise en œuvre.
Possibilité de produire un justificatif de domicile ou une déclaration de domiciliation dite asile (R431-21 Ceseda), et de déposer la demande sans présentation « des documents justifiant de l’état civil et la nationalité » (R431-10 Ceseda ; voir en ligne Droit au séjour pour raison médicale, Défaut de passeport).
Absence de délivrance d’un récépissé de la demande : il n’est pas remis de récépissé au demandeur d’asile titulaire d’une attestation de demande d’asile (R431-12 Ceseda).
Procédure d’instruction prioritaire par les services préfectoraux : le ministère de l’Intérieur invite les services préfectoraux à faire en sorte que « les demandes de titres de séjour émanant de ressortissants de pays bénéficiant d’un faible taux de protection au titre de l’asile (dont ceux originaires de pays dits sûrs) soient instruites en priorité » (annexe n°3 circulaire du 28 février 2019).
Délivrance du titre de séjour : aucune disposition légale ou réglementaire n’empêche le préfet de délivrer la carte de séjour temporaire vie privée et familiale (ou une APS si défaut de résidence habituelle en France) en cas d’avis favorable du service médical de l’Ofii et alors même que la procédure d’asile est toujours en cours (CAA Paris, 26 mai 2011, n° PA03221).
Attention : en cas de rejet de la double demande asile et soins, le recours contre l’OQTF doit être exercé devant le Tribunal administratif dans un délai de 15 jours. Ce délai ne peut jamais être suspendu par le dépôt d’une demande d’aide juridictionnelle ou l’envoi d’un recours gracieux au préfet (voir en ligne Droit au séjour pour raison médicale, Décisions administratives et recours).
Conditions d’application du délai de trois mois
Les articles L431-2 et D431-7 du Ceseda ont prévu le principe d’un délai de trois mois entre l’enregistrement en préfecture (Guda) de la demande d’asile en procédure normale ou accélérée et la réception par le service médical de l’Ofii du certificat médical rempli (rédigé sur le formulaire vierge remis par la préfecture).
Ce délai de trois mois s’applique seulement dans les situations suivantes :
– si la demande d’asile est enregistrée en préfecture (Guda) en procédure normale ou accélérée à compter du 1er mars 2019 (L431-2 Ceseda). Il ne s’applique pas tant que la demande d’asile est enregistrée en procédure Dublin ;
– si la préfecture est en mesure d’apporter la preuve qu’elle en a informé la personne en demande d’asile dans une langue qu’elle comprend ou dont il est raisonnable de penser qu’elle la comprend (L431-2 Ceseda). En pratique, cette information est délivrée en préfecture (Guda), lors de l’enregistrement de la demande d’asile en procédure normale ou accélérée, par la remise d’une notice d’information contre signature ;
– si la préfecture a mis la personne en demande d’asile en mesure de transmettre au service médical de l’Ofii le certificat médical prévu par la réglementation (article 1er et annexe A de l’arrêté du ministère de l’Intérieur du 27 déc. 2016 ; annexe n° 3 de la circulaire du ministère de l’Intérieur du 28 février 2019). En cas de retard ou de refus des services préfectoraux de remettre ce certificat médical vierge destiné au service médical de l’Ofii (impossibilité d’obtenir un rendez-vous en préfecture, convocation tardive, refus pour défaut de passeport, refus de remise à un tiers ou de transmission par courrier en cas d’impossibilité de se déplacer ou d’hospitalisation, etc.), une lettre A/R devra être adressée au préfet justifiant des diligences effectuées dans le délai de trois mois, demandant la transmission (par courrier ou convocation) du formulaire médical vierge, et mentionnant le droit à la protection contre l’éloignement en raison de l’état de santé (L611-3 9° Ceseda).
Attention : le délai de trois mois (à compter de l’enregistrement de la demande d’asile) s’applique seulement à la recevabilité d’une demande d’admission au séjour pour raison médicale. Ce délai ne s’applique jamais aux demandes de protection pour raison médicale contre les mesures d’éloignement. En pratique, alors même qu’elle n’aurait pas été en mesure, par méconnaissance ou empêchement, de déposer dans le délai initial de trois mois une demande d’admission au séjour pour raison médicale, une personne en demande d’asile (ou dont la demande d’asile a été rejetée) dispose toujours du droit :
– d’invoquer des circonstances nouvelles (voir infra) pour justifier du dépôt d’une demande d’admission au séjour pour soins, et donc l’obligation pour le préfet de recueillir l’avis du service médical de l’Ofii ;
– d’invoquer, auprès du préfet ou dans le cadre d’un recours contentieux (TA, CAA), la protection contre le prononcé ou l’exécution d’une OQTF en raison de son état de santé (avec obligation pour le préfet de saisir le service médical de l’Ofii : L431-2, L611-3 9° et R611-1 Ceseda, et art. 9 de l’arrêté du 27 déc. 2016 relatif aux conditions d’établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du Ceseda), ou de celui d’un des membres de sa famille notamment un enfant mineur (art. 3.1 CIDE) (voir Protection contre les mesures d’éloignement
Non-Application du délai de trois mois en cas de « circonstances nouvelles »
En cas de « circonstances nouvelles notamment pour raisons de santé » (L431-2 Ceseda), la personne en demande d’asile ne peut pas se voir opposer le délai de trois mois pour déposer une demande d’admission au séjour pour soins. Elle pourra alors faire valoir des raisons de santé au soutien de son admission au séjour en France tout au long de la procédure d’asile, et même après le rejet de sa demande d’asile.
S’agissant des demandes d’admission au séjour pour soins, la non application du délai de trois mois devrait trouver à s’appliquer très largement parce que, dans la grande majorité des cas, les personnes exilées ne se savent pas porteuses d’une maladie grave avant leur arrivée en France ou de l’importance de la prise en charge médicale appropriée, et que le diagnostic et leur accès aux soins risquent d’être retardés du fait des nombreux obstacles à l’accès aux soins (délai d’obtention d’une protection maladie, délai supplémentaire pour la réalisation d’un bilan de santé et la mise en place d’une prise en charge médicale adaptée, insuffisance de l’interprétariat, voir Conditions de l’accès aux soins.
Dans tous les cas, le secret médical devra être préservé à l’égard des services préfectoraux lors de l’invocation de « circonstances nouvelles » pour déposer une demande d’admission au séjour pour soins après le délai de trois mois. Comme le souligne la circulaire du ministère de l’Intérieur du 28 février 2019, les services préfectoraux ne pourront pas demander « la production de pièces contenant des informations relevant du secret médical » et devront laisser au demandeur la possibilité de « justifier des circonstances nouvelles par tout moyen » (voir Certification médicale et droit au séjour).
Recours en cas de refus d'enregistrement des demandes
Malgré le droit à la « double demande » (L431-2 Ceseda), les associations et institutions de défense des droits constatent la fréquence de pratiques préfectorales refusant l’enregistrement des demandes d’admission au séjour pour soins des personnes en demande d’asile, ou leur demandant de se désister de leur demande d’asile pour le faire. Face à ces refus, la personne en demande d’asile doit pouvoir justifier qu’elle a tenté de faire enregistrer sa demande d’admission au séjour pour soins selon les modalités prévues en préfecture (présentation au guichet, voie postale, prise de rdv par internet). En pratique, après avoir tenté cette démarche et en avoir conservé une preuve, elle doit saisir le préfet en lettre A/R d’un recours gracieux contre ce refus d’enregistrement, tout en invoquant son droit à la protection contre l’éloignement en raison de son état de santé (voir en ligne Décisions administratives et recours). Il est indispensable que ce recours parvienne en préfecture avant la notification d’une OQTF liée à la procédure d’asile. Ces démarches doivent donc être réalisées au plus tard dans les jours suivant l’audience à la CNDA ; et parfois avant même la décision de l’Ofpra en l’absence de volonté de faire appel devant la CNDA ou dans les hypothèses où le droit au maintien sur le territoire français peut être refusé (notamment lorsque le recours CNDA ne fait pas obstacle à l’édiction d’une OQTF car la personne provient d’un pays considéré comme « pays d’origine sûr » ou a présenté une demande de réexamen au titre de l’asile).