10.2. Bilan social et juridique

Accompagnement social et juridique

Article mis à jour le 28/04/2023

L’évaluation de la situation d’un.e ressortissant .e étranger.e en vue d’un accompagnement médico-social global conduit l’accompagnant.e à mener, dans l’intérêt de la personne, un entretien parfois très approfondi. Cette phase d’évaluation exige le positionnement éthique et la technicité communs à tout.e intervenant.e dans la relation d’aide, notamment au regard de l’état psychologique de la personne et de son consentement aux objectifs de l’accompagnement proposé, et au regard des règles sur le secret professionnel et missionel. Mais cet entretien requiert de surcroit d’explorer des questions spécifiques au parcours migratoire et au statut administratif des étrangers. Il demande de porter un regard sur la situation actuelle, mais nécessite également des incursions dans le passé parfois lointain de la personne (jusqu’à dix ans et plus).

Méthodologie de base en droit des étrangers

L’analyse de la situation d’une personne étrangère repose sur le triptyque « nationalité – séjour légal [statut administratif, procédure d’asile incluse] – protection sociale ». Dans les situations complexes et selon la nationalité, il arrive que le droit au séjour légal soit conditionné par l’existence d’une protection sociale (assurance maladie requise, ou versement d’une pension contributive de droit français, etc.) Or l’accès à la protection sociale est lui-même conditionné par l’existence d’un droit au séjour légal en France (sauf exceptions). Dans ce cas, il importe que le triptyque méthodologique soit traité dans l’ordre (au risque de faire un contresens), le bilan du droit au séjour légal en France devant systématiquement précéder le bilan de l’éligibilité aux droits sociaux.

Nationalité. Les règles sur l’entrée, le séjour légal en France, l’asile, l’éloignement, et les droits sociaux varient selon la nationalité des requérant.e.s, en premier lieu, parmi quatre groupes de nationalités :

  1. celles des citoyens de l’Union européenne (UE), de l’Espace économique européen, et de la Suisse ;
  2. les nationalités dont les règles d’entrée et de séjour sont régies principalement par la loi française (notamment le Ceseda), dont le Royaume-Uni depuis 2021 (voir les spécificités de la période transitoire du Brexit sur le site du ministère des Affaires étrangères ;
  3. les nationalités dont les règles d’entrée et de séjour sont régies par des accords bilatéraux spécifiques avec la France, notamment l’Algérie ;
  4. les nationalités dont les règles relatives à la protection sociale sont régies en partie par des accords internationaux conclus par la France avec des Etats tiers ou avec l’Union européenne (généralement limitées à certaines branches de la sécurité sociale au sens strict).

La détermination certaine de la nationalité des personnes concernées est un préalable indispensable au bilan des droits, au risque de contresens et d’erreur de droit. La notion « d’origine » ne permettant pas de connaître la nationalité (notamment lorsque la personne « immigrée » est devenue française), il est recommandé d’éviter les formules ambiguës. Par exemple, « une personne d’Espagne d’origine marocaine en couple avec un français » peut correspondre à au moins trois nationalités (espagnole, marocaine, française par mariage).

Droit au séjour en France (statut administratif). Il s’agit de déterminer si la personne dispose d’un droit au séjour légal en France au jour du bilan, mais également pour les périodes passées. Il faut examiner les possibilités de conserver (renouvellement, changement de statut, fin de procédure d’asile) ou d’acquérir (régularisation) un droit au séjour légal, et d’en tirer les conséquences sur les droits éventuels à une protection sociale. Le droit au séjour des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’une protection internationale est présenté au chapitre 6, celle des « étrangers malades » au chapitre 7, et les autres cas d’admission au séjour en France ne sont pas traités dans ce guide. Des indications sont cependant mentionnées pour les citoyens européens (UE/EEE/Suisse) à l’article 11.7, et pour les ressortissants de pays tiers, à l’article 7.3.

 

Protection sociale (droits sociaux). Il s’agit d’effectuer un bilan de l’éligibilité à la protection sociale de service public, notamment à la protection maladie). Pour toute la population, l’accès à la protection sociale est soumis à sept conditions générales (avec parfois des exceptions). Il s’agit pour chacun.e de justifier :

  1. de sa « résidence habituelle » en France (soit résidence fiscale, soit présence effective et stabilisée et vocation à vivre durablement sur le territoire) ;
  2. de son ancienneté de présence en France (au moins trois mois ininterrompus / avec ou sans titre de séjour au cours de cette période), avec de nombreuses exceptions ;
  3. de la validité d’un titre ou document de séjour (uniquement pour les ressortissants étrangers) ;
  4. de l’ancienneté du séjour légal en France (pour les ressortissants étrangers, et uniquement pour certaines prestations dont les minima sociaux), et depuis 2020 d’une ancienneté du séjour irrégulier de trois mois pour l’AME (voir 13.5) ;
  5. de son identité ;
  6. d’une adresse ou à défaut d’une domiciliation (voir en ligne 10.4) ;
  7. de faibles ressources (uniquement pour les prestations destinées aux personnes démunies financièrement).

A noter : l’article 11.1 de ce guide propose une synthèse de la protection sociale en France et explicite les conditions n°1, n°2 et n°3.

Aide-mémoire pour un bilan « séjour et protection sociale »

  1. Identité / nationalité / état civil de la personne

– nationalité et âge (date et lieu de naissance)

– pièces d’identité ou d’état civil (dont passeport en cours de validité ou non)

  1. Adresse, domiciliation, hébergement, logement

vérifier si adresse stable/fiable et si pluralité d’adresses utilisées auprès des administrations

  1. Tél. portable, adresse email, accès à l’internet
  2. Entrées, séjours et périodes de résidence en France

– date d’installation en France, dernière date d’entrée en France et motif du séjour

– transit, séjour ou demande d’asile dans un autre Etat membre UE/EEE/Suisse avant l’entrée en France

– statut administratif au moment de l’évaluation (sous visa C ou D, titre ou document de séjour, séjour irrégulier…

  1. Démarches préfectorales d’admission au séjour effectuées, titres de séjour obtenus et refus

(y compris mesures d’éloignement dont interdiction de retour), recours auprès des juridictions

  1. Passé judiciaire et enfermement (dont incarcération et rétention administrative)
  2. Attaches familiales en France et à l’étranger, et aide/soutien régulier éventuel d’un membre de famille

– membres de famille en France, au pays d’origine, dans d’autres pays

– ces attaches familiales en France ou à l’étranger ont-elles été déclarées aux administrations françaises

  1. Ressources personnelles ou provenant de tiers
  2. Impôts, les déclarations fiscales des revenus en France ont-elles été faites ?
  3. Travail déclaré (ou non) en France et type de contrats
  4. Situation médicale : quel suivi médical en France, et quel suivi avant l’arrivée en France ?
  5. Prise en charge en France des frais de santé (protection maladie), vérifier l’existence de droits ouverts et la période d’ouverture des droits
  6. Droits éventuels au pays d’origine ou hors de France dont autres pays UE

– titres de séjour obtenus/en cours de validité dans un autre pays UE

– droits à une protection maladie ouverts dans un autre pays (dont carte européenne d’assurance maladie)

– prestations/allocations sociales versées par un autre pays

  1. Démarches d’accès aux droits sociaux précédemment engagées en France
  2. Ouverture ou démarches d’ouverture d’un compte bancaire
  3. Participation à la vie sociale : activités culturelles, sportives, et/ou socio-professionnelles, bénévolat associatif…

Grille complète d'analyse

Selon les objectifs de l’accompagnant·e, des questions supplémentaires devront être ajoutées.

 

Préalable

– autres intervenantes sociales, juridiques et médicales déjà contactées et impliquées

  1. Identité, nationalité, état civil de la personne

– nationalité

– âge (date et lieu de naissance)

– documents d’état civil / d’identité (en cours de validité ou non, original ou copie) : passeport, carte nationale d’identité, carte ou attestation consulaire, acte de naissance, acte de mariage et/ou livret de famille, permis de conduire, etc.

– date et lieu de naissance des parents (si naissance en France ou sur le territoire d’une ancienne colonie française avant son accès à l’indépendance)

  1. adresse, domiciliation, hébergement, logement

– vérifier si adresse stable, accessible, fonctionnelle, et si pluralité d’adresses utilisées auprès des administrations

– préciser si nécessité de recourir à une domiciliation (CCAS, organismes agréés)

– conditions actuelles d’hébergement/logement

  1. Téléphone portable, adresse email, accès à l’internet

– téléphone portable, avec ou sans accès internet

– adresse email, compte webmail avec mot de passe

– niveau de maitrise des outils numériques en ligne

– comptes en ligne déjà créés : préfecture, Ameli, CAF, Service-Public.fr (dont FranceConnect)…

  1. Entrées, séjours et périodes de résidence en France

– date(s) d’entrée(s) en France, dont date de la dernière entrée

– motif et durée du séjour envisagé

– types de visas d’entrée (C ou D) et modalités d’entrée en France

– transit, séjour ou demande d’asile dans autre Etat dit « Dublin » et/ou UE/EEE/Suisse, avant l’entrée en France

– statut administratif au moment de l’évaluation (sous visa C ou D, titre ou document de séjour, séjour irrégulier…)

– date d’expiration et lieu de délivrance du dernier document de séjour (visa ou titre de séjour)

– éventuelles périodes longues déjà passées en France

– âge à l’entrée en France, années de scolarisation en France, éventuel placement ASE

– éventuel statut d’ancien combattant ou de Compagnon d’Emmaüs

  1. Démarches préfectorales d’admission au séjour effectuées, titres de séjour obtenus et refus

– pour chaque démarche préciser son motif, les déclarations déjà effectuées, la date, le titre de séjour ou les décisions de refus (refus de séjour, mesures d’éloignement dont interdiction de retour), et la préfecture concernée, voir également point 11.

– le cas échéant, préciser les recours administratifs et juridictionnels déjà effectués ou en cours

– les coordonnées de l’avocat.e constitué.e pour le recours

  1. Passé judiciaire et enfermement (dont incarcération et rétention administrative)

– condamnations pénales (date, juridiction, nature et quantum de la peine)

– condamnations pénales à une interdiction judiciaire du territoire français (ITF) : date, juridiction, durée de l’ITF, principale ou accessoire, demande d’assignation à résidence (motif), requête en relèvement

– instances pénales en cours et sursis

– périodes et lieux de détention // périodes et lieux de rétention administrative

  1. Attaches familiales en France et à l’étranger (notamment partenaires, enfants et ascendants) et aide/soutien régulier éventuel d’un membre de famille

– conjoint.e.s (ou ex.), concubin.e.s (ou ex.), partenaires pacsé.e.s (ou ex.)

– en France, au pays d’origine, dans d’autres pays

– éventuelle séparation de fait, divorce, ou violences conjugales

  • Enfants

– nombre d’enfants à charge en France, à l’étranger

– nationalité des enfants

– date et modalités d’entrée en France (avec visa ? par la procédure de regroupement familial ?)

– durée et niveau de scolarisation des enfants en France

– éventuel problème de santé et suivi médical

  • Autres membres de famille résidant ou ayant résidé en France

– nationalité, ancienneté de résidence, droit au séjour, scolarisation

  1. Ressources personnelles ou provenant de tiers

– en France et à l’étranger

– dont pension de retraite, rente accident du travail et/ou maladie professionnelle versée par la France

  1. Impôts

– les déclarations fiscales des revenus en France ont-elles été faites ? Pour quelles années ?

– quels montants déclarés ? A quelle adresse ? Situation familiale et personnes à charge (nombre de parts) déclarés ?

  1. Travail déclaré (ou non) en France et type de contrats

– type de contrats de travail ? Quelle profession ?

– sous quelle identité et quel titre de séjour ?

– pour EU/EEE/Suisse, préciser pour chaque contrat (de travail/de formation professionnelle) : la durée du contrat, la rémunération et le temps de travail, la cause et la date de la rupture du contrat, si inscription ou non à Pôle emploi après la rupture du contrat

  1. Situation médicale

– y a-t-il des problèmes de santé ?

– un.e médecin a-t-il/elle posé un/des diagnostic.s ?

– quand a été découverte la pathologie (en France ou dans le pays d’origine) ?

– si c’est avant de venir en France, y avait-t-il accès à un traitement ? Si non, quelles étaient les difficultés ?

– un bilan de santé a-t-il été réalisé ? Des examens (prise de sang, radios, etc) ?

– nature du suivi : spécialiste ? Médecin traitant ? Poly-pathologie ? Quelle fréquence de consultation ? Suivi en éducation thérapeutique ?

– y a-t-il un traitement en cours (si oui, récupérer les dernières ordonnances) ?

– y a-t-il eu une hospitalisation durant l’année écoulée (si oui, récupérer le compte-rendu) ?

– le droit au séjour pour soins a-t-il été abordé avec la/le médecin ? Si oui, la/le médecin est-il/elle favorable à la demande ? /A-t-il/elle délivré un certificat et/ou un rapport médical ?

  1. Prise en charge en France des frais de santé (protection maladie)

– vérifier l’existence des droits ouverts et la période d’ouverture des droits.

– préciser le type de couverture maladie obtenue ou refusée (protection maladie de droit français dont AME, assurance maladie via un formulaire européen dit S1 ou via une carte européenne d’assurance maladie, etc.

– existence de dettes hospitalières, factures impayées, poursuites par le Trésor public et/ou huissiers

  1. Droits éventuels au pays d’origine ou hors de France dont autres pays UE

– titres de séjour obtenus/en cours de validité dans un autre pays UE

– protection internationale (statut de réfugié.e ou protég.eé subsidiaire) obtenu dans un autre pays

– droits à une protection maladie ouverts dans un autre pays (dont carte européenne d’assurance maladie ou autre attestation de prise en charge de certains soins en France)

– pensions (retraite, réversion, invalidité, etc) à la charge d’un autre pays (si oui lesquels + montant)

– autres droits sociaux (chômage, prestations familiales) à la charge d’un autre pays

  1. Démarches d’accès aux droits sociaux précédemment engagées en France

– préciser le type de prestations (prestations familiales, allocations logement, RSA, AAH, pensions de retraite ou d’invalidité, etc) et les périodes concernées

– pour les demandes de prestations/droits sociaux en cours ou refusées, préciser l’existence d’une preuve de la demande, du refus, du recours engagé, et leurs dates

– inscription SIAO-urgence ou insertion, demande de logement social faite

  1. Ouverture ou démarches d’ouverture d’un compte bancaire

– un compte bancaire est-il ouvert ? Sinon, pourquoi ?

  1. Participation à la vie sociale

– participation à des activités de loisirs, culturelles, sportives…

– participation à des cours, des formations, activités socio-professionnelles, bénévolat associatif…

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Références bibliographiques

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES, POUR EN SAVOIR PLUS

Dequeldroit, Site internet de jurisprudences, Entrée, séjour, éloignement des étrangers, www.dequeldroit.fr

Espace et Cicade, Questionnaire de recueil d’information : www.espace.asso.fr

Gisti, Le guide de l’entrée et du séjour des étrangers en France, 11e édition, juin 2019, ici

Gisti, Le guide de la nationalité française, 3e édition, novembre 2013, ici

Site internet de l’administration, Droit de la nationalité, https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N111