10.4. Domiciliation
Accompagnement social et juridique
Article mis à jour le 10/06/2025
Pour les personnes sans domicile stable, qui considèrent ne pas pouvoir recevoir leur courrier de manière stable et confidentielle, l’accès à une adresse de domiciliation est fondamental pour garantir l’exercice de leurs droits et conserver un ancrage dans la vie sociale et citoyenne. Le droit à une domiciliation postale ou administrative est garanti par la loi. Mais l’exercice de ce droit reste encore largement entravé dans la pratique. A ce titre, la diffusion de la note d’information sur la domiciliation du Ministère des solidarités et de la santé du 5 mars 2018, et le Guide juridique de la domiciliation des personnes sans domicile stable (voir infra), restent indispensables, tant pour rendre pleinement effectif l’exercice du droit à être domicilié auprès des organismes domiciliataires, notamment des CCAS, que pour permettre aux personnes sans domicile stable de se prévaloir de leur attestation de domiciliation pour exercer l’ensemble de leurs droits et accéder aux services essentiels garantis par la loi.
Repères fondamentaux
Adresse personnelle, attestation d’hébergement, ou domiciliation administrative ou postale : pour accéder à des droits, services ou prestations, ou tout simplement pour recevoir du courrier, toute personne a besoin d’une adresse stable et confidentielle. Plusieurs situations sont alors possibles :
- la personne dispose d’un justificatif de domicile personnel (quittances de loyer, factures d’électricité ou de gaz, etc.) car elle bénéficie ou partage un hébergement personnel ou familial ;
- elle dispose d’un justificatif de domicile chez un tiers ou dans une structure d’hébergement stable (attestation d’hébergement), car elle y est effectivement hébergée ;
- elle a besoin d’une attestation de domiciliation (ou élection de domicile) pouvant être soit « administrative » (attestation de domiciliation sur un Cerfa) soit simplement « postale », car elle ne dispose pas d’un hébergement stable ou est hébergée temporairement à l’hôtel, ou car le tiers qui l’héberge ne souhaite pas qu’elle utilise son adresse pour recevoir du courrier, ou encore car elle estime ne pas pouvoir donner une adresse d’hébergement lui garantissant de recevoir son courrier de manière stable et confidentielle. Selon le Guide juridique, point 2.1 : « l’opportunité ou la nécessité d’élire domicile auprès d’un organisme domiciliataire est appréciée par la personne elle-même » et point 2.3. « les femmes victimes de violences conjugales n’ayant pas quitté le domicile conjugal peuvent demander une domiciliation, et ce même si elles ont un domicile stable (…) ».
Dans tous les cas, il est essentiel d’informer les personnes sur l’importance de relever leur courrier de manière hebdomadaire et de s’assurer que la « boîte aux lettres » choisie est fiable.
Domiciliation et principe déclaratif de l’adresse : le droit à une domiciliation administrative ou postale doit être distingué du « principe déclaratif de l’adresse ». Selon ce principe, les personnes « qui déclarent aux administrations publiques et aux organismes sociaux leur domicile ne sont pas tenues de présenter des pièces justificatives », sauf exceptions limitativement énumérées dont l’obtention d’un titre de séjour, la délivrance d’un certificat de nationalité française ou encore les formalités d’inscription dans les établissements scolaires (art. R113-8 du Code des relations entre le public et l’administration). Ce principe interdit, notamment aux organismes sociaux et aux services fiscaux, d’exiger un justificatif de domicile (adresse personnelle ou attestation d’hébergement) des personnes déclarant « leur domicile ». En revanche, si une personne estime ne pas être en mesure de déclarer « un domicile » où recevoir son courrier, elle devra recourir à une domiciliation administrative ou postale et en justifier par la production d’une attestation de domiciliation en cours de validité.
Le droit à la domiciliation des mineurs : rien dans la réglementation ne fait obstacle à la possibilité pour les mineurs de bénéficier d’une domiciliation administrative, comme le rappelle la note d’information du Ministère des solidarités et de la santé n°DGCS/SD1B/2018/56 du 5 mars 2018 : « En matière de prestations sociales, les mineurs sont le plus souvent des ayants droit de leurs parents (ou des personnes majeures en ayant la charge). Il n’y a donc pas à exiger d’eux une attestation propre d’élection de domicile ; ce sont leurs parents (ou les personnes qui en ont la charge) qui doivent le cas échéant produire la leur. Par ailleurs, l’attestation d’élection de domicile comprend à présent la liste des ayants droit de la personne domiciliée. Cependant, certains mineurs ont des besoins propres en matière d’accès aux droits, de couverture maladie ou d’autres prestations sociales (prestation d’accueil du jeune enfant ou allocations familiales, par exemple). Dans ce cas, après avoir été informés de ce besoin, les organismes domiciliataires établiront une attestation d’élection de domicile au nom propre des mineurs qui pourront ainsi en justifier pour ouvrir leurs droits » (voir aussi Guide juridique, point 2.2). Ainsi, les besoins d’accès et de continuité des soins pour les personnes mineures peuvent conduire à leur domiciliation de manière prioritaire (voir 14.4 Protection maladie des mineurs).
Deux dispositifs de domiciliation administrative coexistent à ce jour :
- la domiciliation généraliste ou de droit commun (art. L264-1 CASF) qui a lieu auprès des Centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS/CIAS, dont certains ont conclu des conventions de partenariat avec les hôpitaux), ou des organismes ou associations agréés ayant accepté une activité de domiciliation sous certaines conditions (publics accueillis, prestations fournies, nombre de domiciliation autorisées, etc.) définies dans un cahier des charges ;
- la domiciliation spécifique asile ou déclaration de domiciliation asile imposée aux personnes en demande d’asile (art. L551-7 et R551-7 Ceseda et art. L264-10 CASF), sauf dans les très rares situations où elles sont en mesure de fournir une adresse personnelle (comme propriétaire ou locataire ou chez un conjoint, un descendant ou un ascendant). Elles doivent alors être domiciliées soit auprès d’une structure d’hébergement spécifique aux demandeurs d’asile (à l’exception des établissements hôteliers), soit auprès de la structure de premier accueil des demandeurs d’asile (Spada). Cette domiciliation doit être utilisée pour l’ensemble des démarches et demandes de droits et de prestations, y compris les démarches préfectorales d’admission au séjour pour un autre motif que l’asile. En revanche, si elles sont déboutées de leur demande d’asile (ou aussi en cas de transfert Dublin c’est-à-dire si elles sont déclarées « en fuite »), les personnes sans domicile stable vont perdre leur déclaration de domiciliation asile, généralement de manière automatique 1 mois à compter de la décision de rejet de l’Ofpra ou CNDA en cas d’appel (voir Guide juridique point 2.7). Il est alors indispensable qu’elles recourent dans le délai le plus court possible à une domiciliation de droit commun et qu’elles en informent notamment la préfecture, la Spada et leur Caisse primaire d’assurance maladie, afin d’éviter toute rupture de droits et de recevoir la notification de l’OQTF asile permettant d’exercer les recours dans les délais.
Pour les personnes détenues, il existe un dispositif subsidiaire d’élection de domicile auprès de l’établissement pénitentiaire art. L312-2 du Nouveau Code pénitentiaire).
La domiciliation postale ou de correspondance : les personnes qui ne peuvent pas recourir au dispositif de domiciliation administrative de droit commun (voir infra), ou celles qui sans en être privées n’entendent pas accéder aux droits et prestations visés à l’article L264-1 du CASF (et L252-2 CASF pour l’AME), peuvent toujours décider, avec son accord, de donner l’adresse d’un tiers de confiance (particulier, association ou autre) pour y recevoir leur courrier et bénéficier ainsi d’une domiciliation dite postale ou de correspondance. Dans la pratique, ce droit, pourtant rappelé par le Conseil constitutionnel (QPC CC n°2013-347 du 13 octobre 2013), reste largement méconnu par les institutions publiques ou privées.
Extraits QPC CC n°2013-347 du 13 octobre 2013 : « Le droit au respect de la vie privée résulte de l’article 2 de la Déclaration de 1789 ; (…) les dispositions contestées [fixant le régime de la domiciliation de droit commun, articles L264-1 et ss du CASF] n’ont ni pour objet ni pour effet d’interdire aux personnes de nationalité étrangère sans domicile stable et en situation irrégulière sur le territoire français d’établir la domiciliation de leur correspondance ; elles ne portent [donc] aucune atteinte au droit d’entretenir une correspondance ; le grief tiré de l’atteinte au droit au respect de la vie privée doit [donc] être écarté ».
Le droit à la domiciliation administrative de droit commun
S’agissant des citoyens de l’UE, de l’EEE ou de la Confédération suisse en situation administrative régulière ou irrégulière en France, ainsi que les autres étrangers résidant régulièrement en France, la loi prévoit leur plein accès au dispositif de domiciliation de droit commun.
Pour les personnes étrangères non citoyennes de l’UE, de l’EEE ou de la Confédération Suisse en situation administrative irrégulière, la loi prévoit qu’elles ont le droit à la délivrance d’une attestation de domiciliation de droit commun si elles sollicitent l’AME, l’aide juridictionnelle ou « l’exercice des droits civils qui leur sont reconnus par la loi » (art. L264-2 alinéa 3 CASF).
La note d’information du Ministère des solidarités et de la santé du 5 mars 2018 et le Guide juridique rappellent également :
- que les organismes domiciliataires ne sont pas compétents pour contrôler la régularité du séjour des personnes qui s’adressent à eux (point 2.8 du Guide juridique) ;
- que, dès lors qu’elles sont titulaires d’une attestation d’élection de domicile en cours de validité, les personnes sans domicile stable, en situation régulière ou irrégulière, peuvent prétendre et avoir accès, sans discrimination, « à l’ensemble des droits et prestations sociales, aux démarches professionnelles, aux démarches fiscales, aux démarches d’admission ou de renouvellement d’admission au séjour, d’obtention d’un titre d’identité et d’inscription sur les listes électorales, à d’autres services essentiels tels que l’accès à un compte bancaire ou la souscription d’une assurance légalement obligatoire, et aux démarches relatives à la scolarisation et à l’instruction » (point 1.4 du Guide juridique).
Quelle que soit leur situation administrative, les personnes sans domicile stable peuvent solliciter cette domiciliation de droit commun auprès d’un CCAS/CIAS qui a l’obligation d’y procéder sauf si le demandeur ne présente aucun lien avec la commune (ou a déjà élu domicile dans une autre commune). Les CCAS sont ainsi légalement tenus d’assurer le service de domiciliation des personnes sans domicile stable qui leur en font la demande (TA Montreuil, 29 mars 2018, n°1704435 et n°1708403). Ce lien peut être établi de manière large par l’un des éléments suivants : séjour sur le territoire communal, exercice d’une activité professionnelle sur la commune, bénéfice d’une action d’insertion ou d’un suivi social, médico-social ou professionnel auprès d’une structure institutionnelle ou associative établie sur la commune, présence de liens familiaux avec une personne vivant dans la commune, ou encore exercice de l’autorité parentale sur un enfant scolarisé dans la commune (art. L264-4 et R264-4 CASF). Ce lien peut être attesté par tout moyen, sans condition de régularité de séjour en France, ni d’ancienneté de présence sur la commune, ou encore de licéité du mode de résidence (squat ou bidonville) sur le territoire communal. Si la condition de lien avec la commune n’est pas remplie, le CCAS/CIAS doit orienter la personne vers un autre organisme qui sera en mesure de la domicilier (point 3.1.2 du Guide juridique).
Les organismes domiciliataires ne peuvent ni imposer la production d’un justificatif d’identité (point 4.2.1 du Guide juridique), ni contrôler le statut administratif de la personne (point 2.8), ni vérifier l’éligibilité de la personne aux droits et aux prestations. La demande s’effectue au moyen d’un formulaire (Cerfa 16029*01) et donne lieu à un entretien obligatoire qui peut être effectué le jour même. Pour les personnes allophones « des solutions d’interprétariat doivent être recherchées auprès des services de la préfecture ou des acteurs associatifs locaux », point 4.2.1 du Guide juridique. En cas d’accord, une attestation d’élection de domicile (Cerfa 16030*01) d’une durée d’un an, et renouvelable en fonction de la situation de la personne, est remise. La personne domiciliée doit se rendre régulièrement – ou à défaut se manifester par téléphone, par voie électronique si un tel mode de consultation est prévu, ou justifier par écrit de raisons de santé ou de privation de liberté – auprès de son organisme domiciliataire, et au moins une fois tous les 3 mois pour ne pas risquer une radiation.
Justificatifs de domicile, domiciliation et démarches préfectorales
Certaines préfectures refusent l’enregistrement des demandes d’admission au séjour des personnes démunies d’un justificatif d’adresse personnelle ou d’une attestation d’hébergement chez un tiers. Ces pratiques restrictives empêchent la régularisation ou le renouvellement du droit au séjour des personnes sans domicile stable et/ou les conduisent à utiliser des justificatifs de domicile correspondant à des hébergements fictifs/provisoires alors que la procédure préfectorale va durer de nombreux mois et que les préfectures renforcent le contrôle des « hébergeants » (obligation de se présenter en préfecture, contrôle à domicile, voire poursuites pénales, etc.).
Face à ces pratiques restrictives, des recours gracieux et contentieux sont possibles avec saisine du Défenseur des droits (décision n°2017-305 du Défenseur des droits du 28 novembre 2017 ; instruction du Ministère des solidarités et de la santé du 5 mars 2018, p.11 ; Conseil d’Etat, 4 décembre 2013, n°373593). Ainsi, même si la nouvelle annexe n°10 du Ceseda (arrêté du 4 mai 2022 modifié) ne mentionne pas les attestations de domiciliation administrative dans la liste des pièces permettant la justification du domicile, ces attestations doivent être acceptées en application des dispositions de l’article L264-3 du CASF à valeur supérieure garantissant le droit fondamental d’utiliser ces domiciliations pour l’exercice des droits. Il peut être utile le cas échéant, en cas de refus des services préfectoraux, de leur transmettre les précisons apportées par le Guide juridique en ligne (point 1.2.1) : « Les étrangers sans domicile stable et dans l’impossibilité de fournir les justificatifs de domicile listés par l’annexe n°10 du Ceseda, peuvent présenter une attestation d’élection de domicile dans le cadre de leur démarche de première demande ou de renouvellement de leur titre de séjour auprès des préfectures » (en ce sens, voir aussi TA Montreuil, 7 avril 2023, n°2303350).