10.3. Aide juridictionnelle
Accompagnement social et juridique
Article mis à jour le 05/12/2024
Droit fondamental, l’aide juridictionnelle (AJ) permet aux personnes financièrement démunies de bénéficier de l’assistance gratuite totale ou partielle d’un.e avocat.e afin de défendre leurs droits en justice. Il est nécessaire de soutenir les démarches d’obtention de cette aide et de faire le lien avec un.e avocat.e compétent.e.
Principaux textes applicables : Loi modifiée n°91-647 du 10 juillet 1991 et décret n°2020-1717 du 28 décembre 2020 (textes distincts applicables en Nouvelle-Calédonie et dans les Iles Wallis-et-Futuna).
Qui a droit à l’aide juridictionnelle ?
1ère condition : résidence habituelle et régulière en France. Sauf pour les citoyens UE/EEE/Suisse, l’AJ est réservée aux personnes étrangères résidant en France en situation régulière (y compris sous documents provisoires : API et ADF délivrées par l’ANEF, APS, récépissés). Cette condition n’est toutefois pas opposable :
- aux personnes mineures quelle que soit la procédure juridictionnelle en cause ;
- aux personnes impliquées dans une procédure pénale (en tant que témoin assisté, mis en examen, prévenu, accusé, condamné, partie civile, ou soumis à une procédure de comparution immédiate ou sur reconnaissance préalable de culpabilité) ;
- aux personnes bénéficiaires d’une ordonnance de protection dans une procédure contre des violences subies au sein de leur couple ou causées par leur ancien partenaire ;
- pour les recours contentieux contre les OQTF, IRTF, ICTF et arrêtés d’expulsion (voir 9.1 Protection contre les mesures d’éloignement, les refus d’admission au titre de l’asile, ou concernant le maintien en zone d’attente ou en centre de rétention ;
- pour les recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) y compris contre les décisions de placement en procédure d’asile dite accélérée (A l’Ofpra et à la CNDA) ;
- pour les auditions devant la commission du titre de séjour et devant la commission d’expulsion, et dans les procédures de retenue destinées à la vérification de la régularité du séjour ;
- pour les recours contentieux contre les décisions de transfert vers l’Etat responsable de l’examen de la demande d’asile (Procédure Dublin).
2ème condition : justification d’arguments « sérieux ». L’action en justice pour lequel la demande d’aide juridictionnelle (DAJ) est déposée ne doit pas apparaître « manifestement, irrecevable ou dénuée de fondement ». En pratique, il faut justifier brièvement dans la demande des arguments de fait et/ou de droit fondant le recours. Certains bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) rejetant parfois de manière hâtive les DAJ sur ce fondement, il ne faut pas hésiter à contester ce rejet.
3ème condition : condition de ressources et de patrimoine, depuis le 1er janvier 2021 :
- prise en compte du revenu fiscal de référence : les ressources annuelles sont appréciées sur la base du revenu fiscal de référence (RFR) figurant sur l’avis d’imposition ou de non-imposition. A défaut d’avis, ou dans certains cas de changement de situation (perte d’emploi, nouveau membre du foyer fiscal ou séparation, retraite/arrêt/accident de travail/invalidité), il est nécessaire de renseigner les ressources de tous les membres du foyer fiscal pour les six derniers mois, à l’exclusion des prestations sociales (RSA, AAH, prestations familiales et allocations logement, etc.) ;
- prise en compte exclusivement des membres et des ressources du foyer fiscal : il faut déclarer uniquement les membres du foyer fiscal du demandeur et leurs ressources, à l’exclusion de celles des autres personnes vivant sous le même toit (même en cas de concubinage) et des personnes hébergeant le demandeur (voir tableau infra) ;
- prise en compte de l’épargne et du patrimoine immobilier du demandeur (à l’exception de sa résidence principale et des locaux professionnels) : depuis le 1er janvier 2021, ils doivent être déclarées dans la demande qui peut être rejetée en cas de dépassement des plafonds d’éligibilité ;
- dans certaines situations, l’AJ est accordée sans condition de ressources notamment aux personnes mineures, aux personnes en procédure d’asile formant un recours devant la CNDA, et aux personnes ayant déjà obtenu l’AJ dans le cadre de la procédure de première instance leur ayant donné gain de cause et dont la partie adverse fait appel.
4ème condition : absence d’assurance de protection juridique couvrant les frais de justice. La personne demandant l’AJ devra en attester dans le formulaire cerfa de demande.
Plafonds des ressources annuelles en fonction des personnes composant le foyer fiscal (2023)
Foyer fiscal (nombre de personnes) | 0 | 1 | 2 | 3 |
AJ à 100% |
Moins de 12 271 € |
Moins de 14 480 € |
Moins de 16 689 € |
Moins de 18 084 € |
AJ à 55% |
12 272 à 14 505 € |
14 481 à 16 714 € |
16 690 à 18 922 € |
18 085 à 20 318 € |
AJ à 25% |
14 506 à 18 404 € |
16 715 à 20 613 € |
18 923 à 22 822 € |
20 319 à 24 217 € |
* Ajouter ensuite 116,25 € par personne en plus
Réaliser une simulation en ligne (www.aidejuridictionnelle.justice.fr/simulateur) : il est utile de réaliser une simulation en ligne pour savoir si le bénéfice de l’aide juridictionnelle est possible notamment au vu de la condition de ressources et de patrimoine.
Si l’ensemble des conditions ne sont pas remplies, la loi prévoit que l’AJ peut être accordée à titre exceptionnel lorsque la situation des personnes concernées « apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès ». En pratique, il est alors nécessaire de faire valoir cette situation, par un courrier joint dès le dépôt initial de la demande, en s’appuyant notamment sur la vulnérabilité particulière du demandeur et les conséquences du refus de reconnaissance de ses droits ou encore sur l’importance juridique de la question posée à la juridiction.
Demande, instruction et décision du Bureau d’aide juridictionnelle
Délai de dépôt de la demande. La date de la demande est celle de son dépôt contre reçu au guichet du BAJ (ou auprès du service d’accueil unique du justiciable) ou de l’expédition de la lettre telle qu’elle figure sur le cachet du bureau de poste. Si le demandeur a intérêt à déposer rapidement sa DAJ afin de bénéficier de l’assistance d’un avocat, il peut aussi le faire tant que la juridiction n’a pas définitivement statué. Attention toutefois au strict respect des délais pour saisir les juridictions ainsi qu’à certaines situations particulières notamment en contentieux du séjour et de l’éloignement des personnes étrangères (voir ci-dessous).
Conséquences du dépôt de la demande sur les délais de recours contentieux. Sauf situations particulières (voir infra), le dépôt d’une première DAJ dans le délai de recours contentieux, même en cas d’erreur sur le BAJ saisi, interrompt le délai de recours qui va recommencer à courir dans sa totalité :
- en cas d’accord, à compter de la date de notification de la décision d’admission du BAJ ;
- en cas de rejet de la demande par le BAJ, à compter de la date à laquelle le demandeur ne peut plus contester ce rejet, c’est-à-dire 15 jours à compter de sa notification (8 jours pour les décisions du BAJ de la CNDA), ou si un recours a été déposé contre ce rejet à la date de notification de la décision sur ce recours.
Attention à certaines situations particulières pour les délais de recours contentieux :
- pour les recours contre les OQTF avec délai de départ volontaire accompagnant un refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour: la DAJ doit être déposée dans le délai de recours contentieux de 30 jours (ce dépôt sera alors interruptif du délai pour saisir le tribunal) et au plus tard lors de l’introduction du recours au Tribunal administratif. Si la DAJ est déposée après l’introduction du recours au Tribunal, elle sera irrecevable (L614-4 Ceseda). En cas d’appel, la DAJ pourra en revanche être déposée jusqu’à l’audience devant la Cour d’appel (CE 30/03/15, n°369381) ;
- pour les recours contre les OQTF avec un délai de recours contentieux de 15 jours (hypothèse notamment des OQTF asile, y compris rejet d’une double demande asile et soins, voir 8 Double demande asile et maladie) ou de 48 heures : la DAJ doit être déposée dans le délai de recours contentieux de 15 jours (ou de 48 heures) et au plus tard lors de l’introduction du recours au Tribunal administratif. Le dépôt de la DAJ n’est toutefois pas suspensif du délai pour saisir le tribunal. En pratique il convient donc de saisir le Tribunal administratif dans le délai de recours contentieux de 15 jours (ou de 48 heures) en demandant dans ce recours la désignation d’un.e avocate au titre de l’AJ (et parallèlement de déposer une DAJ au BAJ). En cas de délai de recours de 48h, la transmission du recours au Tribunal devra être faite par déplacement au greffe, dépôt dans la boîte aux lettres du Tribunal après usage de son horodateur, ou téléservice dénommé « télé-recours citoyens » ;
- pour les recours contre les décisions de transfert d’un demandeur d’asile vers un autre État européen au titre des accords de Dublin: le dépôt de la DAJ n’est pas suspensif du délai pour saisir le Tribunal administratif (ce délai est de 15 jours, ou le plus souvent de 48h si la décision de transfert s’accompagne d’une assignation à résidence ou d’un placement en rétention). Le calcul des délais et les modalités de recours au Tribunal administratif sont les mêmes que ceux décrits au point 2° ;
- pour les recours en matière d’asile auprès de la CNDA (art. 9-4 loi n°91-647) : la DAJ doit être déposée auprès du BAJ de la CNDA avant l’introduction du recours à la CNDA et dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision de l’Ofpra. Son dépôt est suspensif du délai de recours d’un mois pour saisir la CNDA : le jour de la notification de la décision du BAJ, le délai pour saisir la CNDA reprendra uniquement pour la durée restante (un mois moins le nombre de jours entre la notification de la décision OFPRA et le dépôt de la DAJ). Exemple : rejet OFPRA avec délai de recours CNDA de 30 jours notifié par voie postale le 05/09/20. La DAJ est déposée le 15/09/20. Le BAJ notifie sa décision d’AJ le 20/11/20. Le délai pour saisir la CNDA ne repart pas dans sa totalité le 20/11/20 mais seulement pour 20 jours et donc la CNDA doit être saisie avant le 10/12/20.
Où et comment déposer la demande AJ : elle doit être adressée en lettre A/R ou déposée contre reçu :
- au BAJ du tribunal judiciaire du lieu de la juridiction administrative (TA, CAA) quand celle-ci doit être saisie ;
- sinon au BAJ placé auprès du tribunal judiciaire du lieu du domicile (ou de domiciliation) du demandeur, ou au BAJ du lieu de la juridiction quand celle-ci est déjà saisie.
La Cour de cassation, le Conseil d’État et la CNDA disposent de leurs propres BAJ qu’il faut donc saisir. En cas d’erreur sur le BAJ saisi, ce dernier doit transmettre la DAJ au BAJ compétent.
Constitution pratique du dossier AJ. Le formulaire de demande (cerfa n°16146*03 au 01/12/2023) et sa notice explicative peuvent être imprimés sur internet ou retirés dans les tribunaux et dans la plupart des mairies. Il est recommandé de conserver une copie de la demande signée, des pièces jointes et de la preuve du dépôt/envoi au BAJ.
Quelques précisions utiles peuvent être ajoutées pour le remplissage du formulaire cerfa :
- au point 5 du formulaire sur les ressources (page 4), il est demandé de fournir un avis d’imposition ou de non-imposition. Dans certaines situations énumérées dans le formulaire, il est demandé aussi de renseigner le montant total des ressources de tous les membres du foyer fiscal pour les six derniers mois. C’est notamment le cas lorsque le demandeur ne peut justifier d’un avis d’imposition ou de non-imposition : en l’absence de ressources stables du demandeur, il est alors utile de décrire brièvement sa situation de précarité dans un courrier annexe (attestations de la structure d’hébergement, prise en charge 115, carte AME, justificatifs de recours à l’aide alimentaire, etc.) ;
- au point 7 sur la procédure (page 5), il est demandé d’exposer brièvement le litige, ce que l’on peut faire sans lever le secret médical et en exposant brièvement les raisons de son recours (par exemple : « car son état de santé justifie son admission au séjour en France » ;
- au point 8 sur les auxiliaires de justice (page 8), le demandeur doit indiquer s’il a déjà choisi un.e avocat.e acceptant de l’assister à l’aide juridictionnelle (option recommandée nécessitant de joindre à la DAJ une lettre d’acceptation de l’avocat.e) ou à défaut qu’il lui en soit désigné un.
Les pièces justificatives à joindre à la DAJ sont indiquées dans la notice explicative, en particulier : un document d’identité, l’acte de mariage et les actes de naissance des enfants pour la composition familiale, l’avis d’imposition ou de non-imposition (ou à défaut la copie de la déclaration fiscale), la décision contestée ou la demande en lettre A/R implicitement rejetée par l’administration, l’acceptation de l’avocat.e, et le cas échéant une lettre motivant la « situation particulièrement digne d’intérêt ». Pour les DAJ déposées dans le cadre d’un recours à la CNDA, seule la décision de l’Ofpra doit être jointe avec la dernière attestation de demande d’asile et le cas échéant l’acceptation d’un.e avocat.e.
Demande de pièces complémentaires : le BAJ peut solliciter par lettre des pièces complémentaires (son avocat.e n’en est généralement pas avisé). Le demandeur doit impérativement, dans le délai imparti par le BAJ (en principe 1 mois) et en lettre A/R (ou par dépôt au BAJ contre reçu), soit transmettre ces pièces, soit motiver l’impossibilité de le faire. Si le BAJ s’estime insuffisamment renseigné, il prononcera une décision de caducité non susceptible de recours. Il faut alors immédiatement faire une nouvelle DAJ puis introduire le recours en justice car cette nouvelle DAJ n’est pas interruptive du délai de recours.
Décision du BAJ et recours : le BAJ peut accorder l’AJ totale ou partielle, rendre une décision de caducité ou de rejet. Certains rejets étant abusifs, il ne faut pas hésiter à les contester par un recours motivé en lettre A/R (conditions précisées dans la décision du BAJ : délai de 15 jours, sauf 8 jours pour l’AJ à la CNDA). En cas d’accord d’AJ totale, aucun honoraire complémentaire ne peut être demandé par l’avocat.e.