ACCÈS AUX SOINS DANS LES PAYS D’ORIGINE

4. Accès aux soins dans les pays d'origine

Article mis à jour le 02/09/2022

 

Afin d’appréhender au mieux le contexte des demandes de soins et d’accompagnement des personnes migrantes, il est très utile de pouvoir rassembler des informations sur leurs parcours de soins, notamment dans leur pays d’origine. Or, pour beaucoup d’entre elles, originaires de pays en développement marqués souvent par un déficit en terme de « bonne gouvernance » (selon les définitions de l’ONU) et d’importantes inégalités sociales, ce parcours est caractérisé par un accès limité, voire impossible, à des soins de qualité et appropriés à leur état de santé.

Inégalités d'accès aux soins entre les pays et entre les individus

Les progrès en matière de santé à travers le monde sont profondément inégaux. Dans l’ensemble, les populations sont en meilleure santé, plus prospères et vivent plus longtemps qu’il y a 30 ans. Des améliorations significatives sont intervenues en matière d’accès à l’eau, d’assainissement et de soins prénataux. Les connaissances en matière de santé augmentent rapidement. Malgré cela, l’espérance de vie corrigée selon l’état de santé (EVCS, indicateur de l’OMS), variait toujours largement en 2019 entre le Lesotho (44 ans) et la France (72 ans). Douze pays ont même vu celle-ci reculer entre 2015 et 2019 (Sainte-Lucie, Yémen, USA, Maurice, Malaisie, Koweït, Cuba, Brunei, Barheïn, Barbades et Venezuela).

En parallèle de ces inégalités entre pays, on observe des inégalités considérables et souvent croissantes à l’intérieur des pays, où les conséquences positives de l’augmentation des dépenses de santé sont contre balancées par les choix d’utilisation de ces dépenses. Or, l’équité dans l’accès aux soins dépend de l’organisation sanitaire, mais également de son mode de financement ou de son interdépendance avec les autres pans du service public. L’impact des dépenses consacrées à la santé pose la question plus globale de la bonne gouvernance de l’État. L’état de santé de la population est ainsi influencé par la capacité de celui ci à rémunérer les fonctionnaires (dont le personnel médical) ou à construire de façon égalitaire des infrastructures de base permettant par exemple l’accès à l’eau potable.

Plus de 100 millions de personnes basculent chaque année dans la pauvreté parce qu’elles doivent payer leurs soins de santé. Selon un rapport de 2017 de l’Organisation internationale du travail (OIT), plus de 70% de la population mondiale n’est pas couverte de manière adéquate par une protection sociale. Environ 55% de la population mondiale est toujours privée de toute affiliation à un système ou dispositif de santé. Ce chiffre atteint plus de 80% dans les pays à bas revenu. Selon l’OMS, ces chiffres risquent de s’accroître encore dans les prochaines années du fait des réformes effectuées dans un contexte de crise économique et pandémique. Cent-vingt-quatre gouvernements ont entamé une politique d’austérité en diminuant leurs dépenses publiques en 2018, dont 81 pays en développement, affectant les régimes de retraites, les systèmes de santé et de protection sociale avec réduction de la couverture ou du financement de ces systèmes, suppression de subventions, réductions d’effectifs parmi les travailleurs sociaux et personnels de santé ou plafonnement de leurs salaires.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’autres organisations relèvent plusieurs types d’évolution des systèmes qui accroissent encore les inégalités d’accès aux soins :

    • les dépenses publiques consacrées aux services de santé profitent davantage aux riches qu’aux pauvres, que ce soit dans les pays à revenu élevé ou dans ceux dont le revenu est faible. Ceux qui ont le plus de moyens, aux besoins en soins de santé souvent moindres, consomment le plus de soins, alors que ceux qui ont le moins de moyens, en moins bonne santé, en consomment le moins ;
    • la façon dont sont conçus nombre de programmes de lutte contre les maladies et les logiques d’aide au développement encouragent des approches fragmentées de la santé en direction des populations pauvres et marginalisées qui en sont bénéficiaires, au détriment d’une approche globale des individus et de la continuité des soins. Et les modes de financement de ces programmes ciblés ne permettent pas toujours d’assurer la pérennité des dispositifs qu’ils aident à mettre en place ;
    • l’essentiel des ressources est destiné aux soins curatifs, avec une tendance à la spécialisation excessive des soins, négligeant la prévention primaire et la promotion de la santé.

Cette approche curative spécialisée est également source d’inégalités, encore accentuées par les prix croissants des thérapeutiques et des examens complémentaires. Par ailleurs, la technicisation des soins ne se fait pas au même rythme que la formation des personnels soignants à même de les mettre en oeuvre. L’Organisation internationale du travail estime qu’il y a dans le monde une pénurie de 10 millions de personnels de santé pour garantir des services de santé de qualité pour tous ceux qui en ont besoin. Enfin, certaines populations restent exclues des soins dans de nombreux pays du fait de la nature même de leur pathologie ou de leur appartenance à un groupe social victime de discriminations : femmes, personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères, personnes en situation de handicap, usagers de drogues, personnes détenues, personnes LGBTQIA+, travailleuses du sexe, minorités ethniques, religieuses…

Sources d'informations pour le soin et l'accompagnement

Des repères sur l’organisation du système de santé dans le pays d’origine et l’accès effectif aux soins qu’il garantit permettent d’aider à comprendre le parcours de soins de la personne, et favorisent l’accompagnement dans l’organisation complexe du système du pays d’accueil. Cela permet également d’évaluer les besoins en éducation à la santé, dépistage et vaccination. Pour la personne souffrant d’une maladie chronique, il est important de savoir si une prise en charge adéquate a pu avoir lieu, si une éducation thérapeutique a été entreprise, ainsi que son niveau de littératie en santé.

Littératie : définie en 2013 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) comme « la capacité de comprendre, d’évaluer, d’utiliser et de s’approprier des textes écrits pour participer à la société, réaliser ses objectifs et développer ses connaissances et son potentiel », la littératie se déploie dans les milieux juridiques, de l’information, de l’éducation ou celui de la santé. Les compétences en littératie sont dorénavant identifiées comme étant un déterminant de la santé. www.santepubliquefrance.fr

Les premières informations sont à recueillir auprès de la personne elle-même sur son parcours de soins :

  • avait-elle accès dans son pays à la médecine préventive, aux dépistages, aux vaccinations ?
  • en cas de maladie grave, celle-ci a t-elle été découverte grâce à un dépistage ou à la suite de complications, alors qu’elle avait déjà évolué ?
  • le diagnostic a t-il pu être fait dans le pays, ou est il survenu en exil en France ?
  • un traitement a t-il pu être engagé ?
  • les soins étaient-ils payants ? Où avaient-ils lieu ? La personne a-t-elle dû renoncer à une partie de la prise en charge ? Pour quelles raisons ?
  • quelle estimation du différentiel en matière de suivi, de thérapeutique, de surveillance entre « là bas » et « ici » ?

Le choix des informations et des indicateurs les plus pertinents doit se faire en fonction du besoin et tenir compte du contexte global. Un indicateur isolé n’a que peu de valeur. Ainsi, l’existence d’un médicament ou d’un service spécialisé dans le pays ne suffit en rien à garantir que l’ensemble de la population y aura effectivement accès. De même, dans une approche plus globale, les dépenses totales de santé ne garantissent pas l’équité de l’accès de la population aux services de santé. La question des déterminants de l’accès à un traitement est complexe, pouvant nécessiter de prendre en compte des données allant du très général (système de gouvernance) au plus précis (l’existence de recommandations et de formations sur la prise en charge d’une pathologie).

Les comparaisons entre pays des performances des différents systèmes de soins doivent également être interprétées avec prudence du fait de la diversité et de la complexité des contextes, de l’aspect qualitatif de certaines données et du choix parfois discuté des indicateurs retenus. Ainsi, le produit intérieur brut (PIB), longtemps utilisé comme référence, a t il été peu à peu remplacé par l’indice de développement humain (IDH), puis par l’indice de développement humain ajusté aux inégalités (IDHI). Ces informations sont disponibles sur le site du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Globalement pour les pays qui ne disposent pas d’un IDHI élevé, il convient de considérer l’impossibilité d’une prise en charge médicale appropriée en cas de pathologie lourde et/ou chronique et/ou coûteuse.

Les recherches sur le système de gouvernance, la corruption, les droits humains, donnent à la fois des informations sur les discriminations ou violences pouvant avoir été subies par les personnes exilées et sur la façon dont les dépenses de santé sont utilisées.

Les recherches sur le système de santé doivent autant que possible porter sur l’existence et la portée d’un système de protection maladie, plus généralement de protection sociale et si besoin sur la prise en charge de la dépendance et du handicap. Il est également possible de trouver des informations sur les dépenses de santé, sur la démographie médicale et la distribution des lieux de soins, notamment publics, seuls à même de permettre un accès équitable à la santé. Il est en effet crucial de séparer l’offre privée de l’offre publique, surtout dans les pays à protection sociale insuffisante. De même, les médicaments doivent être disponibles sous la forme de génériques.

Les sources d’information sont multiples. Il peut s’agir d’institutions internationales ou nationales, d’organisations non gouvernementales nationales ou internationales ayant des programmes locaux, mais aussi d’acteurs du système de soins du pays tels que des associations de malades ou des soignants. Il est recommandé de veiller à leur connaissance notamment du contexte des inégalités d’accès aux soins, et à l’indépendance de leur avis.

Accès aux soins et droit au séjour pour raison médicale

Selon la loi, les étrangers atteints d’une maladie grave dont le traitement approprié est inaccessible dans leur pays d’origine doivent bénéficier d’un titre de séjour et être protégés contre l’éloignement (voir Droit au séjour pour raison médicale). Un traitement approprié dépend d’une offre de soins comprenant les structures, les équipements, les médicaments et les dispositifs médicaux, ainsi que les personnels compétents nécessaires pour assurer la prise en charge de l’affection en cause. La réponse à une demande d’accompagnement peut alors s’appuyer sur la recherche d’éléments en faveur de l’existence d’un risque d’inaccessibilité du « traitement approprié » pour la personne demandeuse en particulier.

Le droit au séjour pour raison médicale a été modifié par la loi sur l’immigration du 7 mars 2016 qui a placé l’ensemble de la procédure sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, incluant le dispositif d’évaluation médicale auparavant sous celle du ministère de la Santé. A cette occasion, le ministère de la Santé et des affaires sociales a publié le 5 janvier 2017 un arrêté fixant les orientations générales pour l’exercice de leurs missions par les médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), ces missions étant prévues à l’article L 425-9 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (NOR : AFSP1638149A). Cet arrêté indique notamment les modalités d’appréciation de l’offre de soins dans le pays d’origine ou de renvoi notamment au regard de l’existence de structures, d’équipements, de médicaments et de dispositifs médicaux, ainsi que de personnels compétents nécessaires pour assurer une prise en charge appropriée de l’affection en cause. L’arrêté indique en annexe une liste de sources sur lesquelles s’appuyer pour aider à l’évaluation de l’accès aux soins dans le pays d’origine.

Article 3 de l’arrêté du 5 janvier 2017 – L’avis du collège de médecins de l’Ofii est établi sur la base du rapport médical élaboré par un médecin de l’office selon le modèle figurant dans l’arrêté du 27 décembre 2016 mentionné à l’article 2 ainsi que des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans le pays dont le demandeur d’un titre de séjour pour raison de santé est originaire. Les possibilités de prise en charge dans ce pays des pathologies graves sont évaluées, comme pour toute maladie, individuellement, en s’appuyant sur une combinaison de sources d’informations sanitaires. L’offre de soins s’apprécie notamment au regard de l’existence de structures, d’équipements, de médicaments et de dispositifs médicaux, ainsi que de personnels compétents nécessaires pour assurer une prise en charge appropriée de l’affection en cause. L’appréciation des caractéristiques du système de santé doit permettre de déterminer la possibilité ou non d’accéder effectivement à l’offre de soins et donc au traitement approprié. Afin de contribuer à l’harmonisation des pratiques suivies au plan national, des outils d’aide à l’émission des avis et des références documentaires présentés en annexe II et III sont mis à disposition des médecins de l’office.

 

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Références bibliographiques

Comede, Étrangers malades : quel accès aux soins dans le pays d’origine, Maux d’exil, n° 46, mars 2015, www.comede.org

OIT, Rapport mondial sur la protection sociale 2017-2019, www.ilo.org/

OMS, Rapports annuels, who.int/fr

PNUD, Rapports annuels, www.undp.org