12.1. Conditions de l’accès aux soins
Accès aux soins, accès aux droits
Article mis à jour le 02/09/2022
Selon la loi et la déontologie, toute personne démunie doit recevoir les soins nécessaires dans l’ensemble des services de santé, mais dans la pratique les obstacles à l’accès aux soins des personnes migrantes/étrangères en situation précaire sont nombreux. Si la délivrance « gratuite » de soins préventifs et des premiers soins curatifs est parfois possible, seule une protection de base assortie d’une couverture complémentaire (Assurance maladie avec Complémentaire santé solidaire [C2S], ou AME), peut permettre la continuité des soins. Or la prise en charge des personnes exilées se heurte à des difficultés croissantes d’obtention d’une protection maladie, mais également à des refus de soins par certain·e·s professionnel·le·s ou dispositifs de santé à l’égard des personnes étrangères en situation précaire.
Obstacles et itinéraires de soins
Très souvent évoqués, les obstacles culturels à l’accès aux soins ne se trouvent pourtant pas forcément du côté des personnes migrantes/étrangères. En matière de sécurité sociale, la complexité du droit et des procédures est ressentie par l’ensemble des usager·ère·s et des professionnel·le·s. S’il existe une culture commune aux personnes étrangères en séjour précaire, c’est la « culture de la survie » : les démarches pour « les papiers » (préfecture) ou l’hébergement sont naturellement prioritaires par rapport aux besoins, également ressentis, de prévention médicale.
La culture du système de santé face aux usager·e·s « à problème » participe de l’exclusion des soins. L’existence de dispositifs « spécialisés » (pour les personnes pauvres et/ou étrangères) et le recours parfois inadapté aux dispositifs de soins gratuits entretiennent les mécanismes d’une exclusion « douce ». De plus, pour beaucoup de croyances, les soins et traitements gratuits sont réputés être moins efficaces que les soins payants. En dépit du principe de « présomption de droit à une protection maladie » applicable à toute personne résidente, la culture du remboursement propre à l’institution Sécurité sociale perdure, alors que certains soins ne peuvent attendre l’issue de l’instruction de la protection demandée. Enfin, la culture médicale, où prime parfois la technicité du soin sur l’accompagnement global, peut également poser problème. L’obtention d’une protection maladie n’est pas seulement « l’affaire de l’assistant·e social·e », mais doit également impliquer les soignant·e·s et notamment les médecins.
Les obstacles linguistiques se rencontrent à toutes les étapes du parcours pour les personnes non francophones. (voir interprétariat) La présence d’un·e interprète professionnel·le est particulièrement recommandée, mais difficile à obtenir dans de nombreux dispositifs de soins et de prévention. Il est également possible de faire appel à un·e interprète par téléphone.
Conditions d’accès aux différents dispositifs de santé
Pour les coordonnées des 28 000 établissements de santé et médico–sociaux en France : Annuaire sanitaire et social.
- les dispositifs de santé publique assurent des services gratuits de prévention et de dépistage pour l’ensemble de la population. Certains d’entre eux doivent également délivrer les médicaments nécessaires (antituberculeux dans les CLAT, psychotropes dans les CMP) ;
- les dispositifs de soins de droit commun (cabinets médicaux, centres de santé, hôpitaux publics et de service public) sont payants, et ne sont accessibles pour les personnes démunies qu’avec une protection maladie (à l’exception des Pass). À défaut, il est parfois possible de bénéficier d’une consultation médicale gratuite (actes gratuits en médecine ambulatoire) ou sans paiement préalable (urgences hospitalières, avec réception consécutive de la facture à domicile et régularisation du dossier a posteriori) ;
- les dispositifs de « soins gratuits » permettent théoriquement de pallier les périodes d’exclusion de droits pour les personnes démunies. Les centres gérés par les organisations non gouvernementales peuvent généralement délivrer des médicaments et effectuer des examens simples. Mais l’accès aux consultations, actes et traitements spécialisés n’est effectif que dans les dispositifs de droit commun et à condition d’une dispense d’avance des frais (protection maladie individuelle de base et complémentaire préalable), et à défaut dans les permanences d’accès aux soins de santé (Pass) de l’hôpital public, dont certaines génèrent toutefois des factures.
Premiers soins et continuité des soins
Les difficultés et restrictions d’accès à une protection maladie renforcent le recours aux dispositifs de soins gratuits, d’autant plus que les procédures d’instruction accélérée de la Complémentaire santé solidaire (C2S, CSS) ou de l’AME sont rarement mises en œuvre par les CPAM / CGSS . Or, en l’absence d’une protection maladie intégrale, ces dispositifs ne peuvent assurer la continuité des soins au-delà des premiers soins délivrés, et tendent parfois à développer une médecine « à moindre frais », où les examens et les traitements délivrés ne dépendent plus seulement de la pathologie, mais des ressources du dispositif et/ou du/de la patient·e.
La délivrance « gratuite » de soins préventifs et des premiers soins curatifs est possible dans certains dispositifs spécialisés. Dans les centres de certaines associations, Pass de l’Hôpital public, en médecine de ville (actes gratuits), ou en cas de consultation nocturne aux urgences, on peut bénéficier sans avancer les frais d’une consultation médicale, assortie d’une prescription de traitements ou d’explorations complémentaires, et certains dispositifs de soins gratuits délivrent également les premiers traitements nécessaires ou permettent l’accès à une consultation spécialisée. Certains de ces services sont « faussement gratuits » et génèrent des factures a posteriori, elles-mêmes à l’origine de renoncement aux soins pour les personnes qui ne peuvent s’en acquitter.
La continuité des soins n’est possible qu’en cas de protection maladie intégrale avec dispense d’avance des frais (assurance maladie + protection complémentaire, ou AME). Sans protection complémentaire, les personnes usagères financièrement démunies ne peuvent se soigner. La répétition des soins ou la nécessité de soins spécialisés sont incompatibles avec la « gratuité » : hospitalisation non urgente, thérapeutiques coûteuses, bilans réguliers et traitements quotidiens pour les affections chroniques. Sans protection complémentaire, l’interruption des soins est la règle, immédiate ou consécutive à la réception à domicile de la facture relative aux premiers soins délivrés. Considéré·e·s comme « perdu·e·s de vue » par les dispositifs de droit commun, certain.e.s de ces patient·e·s retournent, en cas d’aggravation de leur état, vers les dispositifs spécialisés.
Obtenir une protection maladie
Pour les personnes exilées récemment arrivées en France, l’obtention d’une protection maladie a été restreinte au cours des dernières années. Les réformes législatives concernent en particulier les personnes « sans-papiers » : instauration d’un délai d’ancienneté de présence de 3 mois pour l’Aide médicale État (2003), transformé en délai d’ancienneté de présence de trois mois en séjour irrégulier (2019). Par ailleurs, les demandeur·se·s d’asile se sont vu supprimer (2019) la dispense du délai de trois mois d’ancienneté de présence en France pour accéder à l’assurance maladie. Démunies et dépourvues de droit à une protection maladie, les personnes concernées retardent souvent la demande de soins, et s’adressent alors principalement aux hôpitaux, souvent en situation d’urgence.
Récemment arrivées en France ou en situation de rupture de droits, les personnes exilées sont essentiellement des « entrants dans le système » à toutes les étapes : identification (anciennement « immatriculation »), ouverture de droits à la couverture de base, admission à la Complémentaire santé solidaire ou à l’AME. Des difficultés persistent en raison de la complexité du système et de la méconnaissance du droit par les professionnelles de la santé, du social ou de la Sécurité sociale. Elles sont liées à la fois au contrôle imposé par la loi aux caisses primaires pour la différenciation assurance maladie/AME (régularité du séjour), à l’ignorance de ces mêmes caisses des pratiques des préfectures (multiplication des documents précaires de séjour régulier) et aux changements fréquents de statut administratif des personnes (visas versus titres de séjour, demande d’asile…).
Pour les personnes qui en relèvent, la Complémentaire santé solidaire doit être demandée de façon concomitante à la protection maladie de base. La C2S accessible à toute personne qui remplit les conditions d’éligibilité à l’assurance maladie de base (régularité et stabilité de la résidence en France) et dont les revenus ne dépassent pas un certain plafond/montant (pour la C2S sans participation financière, moins de 753 € par mois pour une personne seule). Une demande concomitante de la protection de base et de la protection complémentaire permettra une ouverture de la Complémentaire santé solidaire le premier jour du mois suivant l’ouverture des droits de base ou de façon rétroactive si un besoin en soins est identifié ou si la situation sociale de la personne demandeuse l’exige.
L’information délivrée, au besoin à l’aide d’un.e interprète, est déterminante. La personne doit comprendre l’intérêt des démarches et leur logique : seule la Complémentaire santé solidaire / AME garantit la dispense d’avance des frais pour tous les soins, contrairement au « 100% ALD » qui ne concerne que les soins liés à la pathologie concernée (voir encadré). Elle doit être prévenue des diverses exigences de la Sécurité sociale (attestations d’identité, de résidence, de domiciliation/hébergement, de ressources) et du risque de refus lors de sa première demande ou de la demande d’instruction prioritaire (Complémentaire santé solidaire ou AME) pour revenir solliciter l’intervention du/de la professionnel.le ou de l’association, et assurer le suivi de cette demande.
Certaines affections de longue durée (ALD) permettent une prise en charge à 100% par l’assurance maladie, quel que soit le niveau de ressources. Il est important d’en faire la demande afin de permettre la continuité des soins à l’occasion des renouvellements, ou en cas de perte de la Complémentaire santé solidaire lorsque la situation sociale et financière s’améliore. Le « 100% » est également possible dans d’autres circonstances, particulières et/ou ponctuelles : soins en fin de grossesse et accouchement, hospitalisation longue, chirurgie lourde, etc.
L’intervention d’un·e professionnel·le ou d’une association spécialisée peut être nécessaire auprès du centre de Sécurité sociale ou du siège de la CPAM/CGSS. Il est souvent impossible pour un·e demandeur·se isolé·e de lever un obstacle sans aide. En outre, certaines solutions restent hors d’atteinte des personnes intervenantes, comme la systématisation de la délivrance par les caisses de récépissés des demandes, la délivrance de la carte Vitale même en cas de numéro d’immatriculation « provisoire », et le recours en cas de refus de soins par des professionnelles de santé (consultation médicale, délivrance de médicaments…), notamment en cas d’absence de carte Vitale et malgré une notification écrite d’ouverture des droits.
Permanences téléphoniques socio-juridiques du Comede sur les questions relatives à l’accès aux dispositifs de soins, Assurance maladie, Complémentaire santé solidaire, AME, DSUV et droit au séjour des étrangers malades. Voir les coordonnées et horaires des permanences nationales et régionales.