12.6. Retards, restrictions et refus de soins discriminatoires
Accès aux soins, accès aux droits
Article mis à jour le 11/06/2025
Les retards, restrictions et refus de soins discriminatoires (RRRD) concernent particulièrement les personnes étrangères, souvent confrontées à des barrières supplémentaires dans l’accès aux services de santé (voir 12.1 Conditions de l’accès aux soins) Ces entraves à l’accès aux soins peuvent prendre diverses formes, allant des retards intentionnels aux restrictions d’accès, en passant par l’absence de recours à l’interprétariat professionnel et la facturation de soins censés être sans reste à charge. Les RRRD ont un impact non négligeable sur la santé du fait du retard de la prise en soins, du retentissement psychologique et du renoncement aux soins qu’ils peuvent engendrer. Il est parfois possible de résoudre la situation en contactant le service concerné, mais il arrive que le signalement à une institution faisant autorité soit nécessaire pour permettre la continuité des soins et/ou le rappel à l’ordre de l’intervenant.e ou de l’organisation de soins en cause.
Définitions et références juridiques
Définition des refus, retards, et restriction d’accès aux soins. D’après le Code de la santé publique toute personne a le droit de recevoir les soins appropriés à son état de santé ; les médecins doivent délivrer des soins consciencieux et ne pas effectuer de discrimination dans l’accès aux soins et à la prévention (CSP, art L1110-5, et art R4127-32 concernant le Code de déontologie médicale). Si les professionnel.les de santé peuvent dans certaines conditions médicalement justifiées refuser des soins à un ou une patiente (acharnement thérapeutique, ne pas avoir les compétences nécessaires…), certaines situations de refus sont prohibées. Ainsi, un refus de soins est illicite si une ou plusieurs de ces conditions sont présentes :
- le refus est fondé sur un critère discriminatoire (voir infra) ;
- la continuité des soins par la réorientation vers un.e confrère/consoeur n’est pas effectuée alors qu’elle est indiquée ;
- Il s’agit d’une situation d’urgence dans laquelle l’absence de soins risque d’entraîner un préjudice grave pour l’état de santé de la personne.
Caractère discriminatoire d’un refus de soins. L’article R1110-8 du CSP définit le refus de soins discriminatoire au sens de l’article L1110-3 et renvoie aux articles 225-1 et 225-1-1 du Code pénal, la détermination de la liste des motifs de discriminations. Ainsi, « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte […], de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée. » Ainsi, les refus, retards ou restrictions de soins sont de nature discriminatoire s’ils sont notamment motivés par le fait que la personne concernée bénéficie de la Complémentaire santé solidaire (C2S, voir 13.4) ou de l’Aide médicale Etat (AME, voir 13.5.), ou soit dépourvue de protection maladie bien qu’en situation de précarité, ce qui est souvent le cas pour les personnes exilées récemment arrivées en France.
La non-discrimination inscrite dans les codes de déontologie (voir aussi 15.1. Principes juridiques et déontologiques) Les professionnel.le.s de santé sont tenu.e.s de respecter les principes de non-discrimination et d’engagement en faveur de la santé, tels que stipulés par leurs ordres professionnels respectifs (les psychologues disposent également d’un texte de référence, non encore reconnu officiellement). Ces principes de non-discrimination sont explicites dans les Codes des médecins (art R4127-7 du CSP), des infirmier.e.s (R4312-8), des pharmacien.ne.s (R4235-4), des chirurgiens-dentistes (R4127-209), des masseurs-kinésithérapeutes (R4321-52), des sages-femmes (R4127-314), des pédicures-podologues (R4322-33) et des psychologues (art 6).
Fréquence et conséquence des RRRD
Dans l’observation du Comede, certaines situations de RRRD sont fréquemment rencontrées lors des consultations et des permanences téléphoniques :
- l’absence de recours à l’interprétariat professionnel pour les patient.e.s en ayant besoin (allophones) constitue a minima une restriction d’accès aux soins, et de la qualité des soins prodigués (voir 3.1 Interprétariat professionnel). En effet, la HAS souligne dans ses recommandations portant sur l’interprétariat en santé de 2017 que « le recours à un interprète professionnel permet de garantir d’une part, aux patients/usagers, les moyens de communication leur permettant de bénéficier d’un égal accès aux droits, à la prévention et aux soins de manière autonome et, d’autre part, aux professionnels, les moyens d’assurer une prise en charge respectueuse du droit à l’information, du consentement libre et éclairé du patient et du secret médical. » ;
- pour des personnes financièrement démunies, le fait de conditionner la réalisation de l’acte à la facturation de soins aux patient.es constitue un refus de soins discriminatoire d’après de Code de Santé publique en ce qu’il présente une pratique tendant à empêcher ou dissuader une personne d’accéder à des mesures de prévention ou de soins (CSP, art. R1110-8) ;
- des personnes étrangères récemment arrivées en France et en attente d’ouverture de droits à la C2S ou à l’AME sont confrontées à des retards, restrictions et refus de soins dans un certain nombre d’hôpitaux publics, ce qui constitue également une discrimination lorsque le délai de la délivrance des soins nécessaire fait peser un risque de préjudice grave dans certaines situations médicales (dialyses rénales, traitement d’un cancer).
Dans le cadre de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), le Comede a participé à l’élaboration de la note Retards, restrictions et refus de soins à l’hôpital (accès aux soins des patients sans droits à une protection maladie). Alerte et rappels sur le cadre règlementaire, Argumentaire ODSE 2024. Des enquêtes menées par des organisations comme Médecins du Monde (MDM) et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) fournissent également des données précieuses sur les refus de soins effectués par des professionnel.le.s de santé en ambulatoire. Ces enquêtes montrent que les personnes précaires et notamment étrangères en situation irrégulière, sont souvent confrontées à des refus de soins systématiques, malgré les protections légales en place.
Impact des discriminations sur la santé et renoncement aux soins. Les discriminations dans l’accès aux soins peuvent avoir des conséquences graves sur la santé des individus. En particulier, elles peuvent provoquer des retards dans la prise en charge des soins d’urgence, ce qui peut avoir des répercussions graves et durables, notamment en ce qui concerne des maladies comme les cancers ou l’insuffisance rénale terminale mais également les maladies chroniques comme le diabète. Pour les soins courants, tels que les soins dentaires, ces discriminations peuvent altérer considérablement la qualité de vie des patients. La répétition de ces discriminations peut mener les individus à renoncer complètement aux soins, aggravant ainsi des affections médicales non traitées. En outre, le stress et la détresse psychologique induits par ces discriminations peuvent avoir des effets néfastes sur la santé mentale des personnes concernées.
Résolution et mécanisme de protection vis-à-vis des RRRD
Face à une situation de refus, retard ou restriction d’accès aux soins, confirmer le caractère discriminatoire peut être complexe. Un motif discriminatoire ne doit pas être confondu avec des contraintes liées à l’organisation habituelle du lieu de soin (ex: délai de rendez-vous long pour tous les patients, pas de possibilité de consultation sans rendez-vous…). En outre, les personnes exilées sont dans une telle situation de vulnérabilité qu’il peut arriver une incompréhension avec un.e soignant.e expliquant que des soins curatifs sont inenvisageables au stade évolutif d’une maladie grave, incompréhension encore accrue en l’absence d’interprète professionnel.
En cas de doute sur un refus ou restriction de soin, il est parfois nécessaire de demander un second avis médical afin de s’assurer que la personne reçoit des soins adaptés à son état de santé et aux bonnes pratiques médicales. Par exemple, dans le traitement des cancers il arrive que soient proposé des chimiothérapies moins couteuses et moins efficaces pour des personnes sans protection maladie, il s’agit d’une restriction d’accès aux soins discriminatoire.
Parfois, une méconnaissance des procédures ou des droits peut être à l’origine d’un refus, retard ou restriction d’accès aux soins. Dans ce cas, discuter avec le/la professionnel.le de santé et/ou le service social peut permettre de clarifier la situation et de lever un éventuel malentendu.
Informations à recueillir afin d’évaluer une situation potentielle de refus de soin discriminatoire
Informations d’ordre médical
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Informations d’ordre social
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Informations relatives au refus de soins
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Informations relatives au lieu de soins
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Si le refus de soin est avéré et confirmé par la/le professionnel.le/service concerné, il est important de distinguer deux temps qui peuvent toutefois être simultanés : d’une part, la nécessité de continuité des soins qui peut s’avérer urgente, et d’autre part, la reconnaissance du RRRD et sa levée, voir schéma infra.
Être confronté.e à un RRRD est souvent éprouvant pour les usager.e.s et la résolution peut être longue. Pour ces raisons, insister pour une prise en charge dans le même établissement de santé peut ne pas être souhaité par le ou la patiente. Cependant, en raison de la surspécialisation de certains services hospitaliers ou de la distance à parcourir pour accéder aux soins, trouver une alternative peut s’avérer difficile.
Schéma : Conduite à tenir face à un refus de soin discriminatoire
Défenseur des droits, ARS Agence régionale de santé
En cas de RRRD, il est important que la personne discriminée soit informée de ses droits et des possibilités de recours. Faire signifier un RRRD à l’établissement concerné ou à une institution faisant autorité est parfois souhaité par les usagers, non seulement pour faire valoir et reconnaître leurs droits, mais également pour éviter à d’autres patient.e.s de rencontrer les mêmes difficultés. Cette notification peut être faite auprès de plusieurs institutions, y compris le lieu de soin concerné, et peut parfois permettre de lever le blocage.
Au sein de l’établissement concerné par le RRRD, la notification peut être faite auprès du/de la responsable du service où intervient le/la professionnel.le discriminant.e, et ce jusqu’à la direction. Certains établissements ou groupes d’établissements sont pourvus de comité d’éthique et de commission des usagers et peuvent être sollicités.
Autorités de santé publique et instances de défense des droits :
- l’Assurance maladie (si droit à une protection maladie) et l’ordre professionnel concerné (médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, infirmiers, masseurs kinésithérapeutes pharmaciens, pédicures podologues) proposent une procédure conjointe de conciliation : Comment porter plainte en cas de refus de soins discriminatoire ? | ameli.fr | Assuré ;
- l’ARS. Concernant un RRRD s’exerçant au sein du dispositif Pass d’un hôpital, l’information peut être directement transmise à la coordination des Pass de l’ARS concernée ;
- le Ministère de la santé et particulièrement la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) peuvent être interpellés dans les situations les plus graves ;
- le Défenseur des droits (DDD) recueille l’information et peut intervenir dans les situations de RRRD. Demander de l’aide au Défenseur des droits | Défenseur des Droits (defenseurdesdroits.fr) ;
- les associations de patients peuvent également accompagner les usager.e.s concerné.e.s pour faire reconnaître leurs droits : Aides, APF, France Handicap, etc.
Les permanences téléphoniques du Comede peuvent être sollicitées par les professionnel.le.s, proches ou personnes concernées, avec interprète si besoin. Ces permanences accompagnent l’appelant.e dans la caractérisation d’un éventuel RRRD et dans l’accès aux soins.